Après la bavure policière qui a coûté la vie à un Chinois dimanche dernier, y a-t-il réellement une « tension diplomatique » entre la France et la Chine ? La réponse est non.

Après la mort de Liu Shaoyao, un immigrant chinois tué par la police à Paris dimanche 20 mars, la Chine a-t-elle « haussé le ton » vis-à-vis des autorités françaises ? Les a-t-elle « sermonnées » ? A-t-elle exprimé sa « colère » ? « Exigé » que toute la lumière soit faite ? Y a-t-il réellement une « tension diplomatique » entre la France et la Chine ?

La lecture des titres des dépêches laisse penser que Pékin a réagi avec une vigueur extrême. Il est vrai que depuis l’évacuation spectaculaire de 30 000 ressortissants coincés en Libye par le déclenchement des hostilités en 2011, le régime tient en effet à se poser en protecteur des millions de Chinois installés hors de Chine. Le « Global Times » – quotidien affilié au « Quotidien du Peuple » mais connu pour la virulence de ses éditoriaux – s’est donc fait le porte-parole des patriotes indignés. Dans un éditorial musclé du 29 mars, le journal qualifie la mort de ce père de famille de « faute qui ne peut en aucun cas être excusée ». Il affirme que de nombreux Chinois de France, affirme-t-il, voient dans cet événement la preuve du « préjugé racial » chez les policiers français. Et de conclure par une critique sévère : « La police de Paris n’a montré qu’indifférence et arrogance tout au long de cette affaire. » Quant à la société française, elle a fait preuve de « son apathie en ignorant les déclarations de la famille de la victime ».

La mesure de Pékin

On aurait tort cependant de prendre les philippiques du « Global Times » pour le message officiel de Pékin. Il existe souvent un écart important entre ce que publie ce journal et les propos des responsables politiques. A examiner de près les déclarations de ces derniers, on ne trouve en effet pas trace de fureur ni de réprimande. Comme tout pays confronté à une situation similaire, Pékin a exprimé en termes appropriés son émoi, tant auprès de l’ambassade de France en Chine que du Ministère de l’Intérieur à Paris, indiquant son souhait qu’une enquête soit menée et que la sécurité de ses ressortissants soit garantie.

Le 28 mars, lors de son briefing quotidien, la porte-parole chinoise a ainsi rendu compte en termes fort mesurés de ces démarches. Le lendemain 29 mars, le porte-parole calmait encore plus le jeu, indiquant que les policiers impliqués dans l’affaire avaient été mis à pied pour les besoins de l’enquête, que les manifestants chinois arrêtés les jours précédents avaient été relâchés et qu’une enquête administrative avait été ouverte afin de déterminer les responsabilités.

La crainte de l’effet de contagion

Ce qui est bien plus significatif, c’est que par deux fois, les porte-parole ont insisté sur la « nécessité pour nos compatriotes chinois de France d’exprimer leurs demandes et de défendre leurs droits de façon raisonnable et légale. »

« Raisonnable et légale » : allusion transparente – et un tantinet embarrassée – à l’effervescence de la communauté chinoise qui depuis trois jours descend dans la rue pour manifester sa colère, aux cris de « police assassins ». On imagine mal en effet Pékin soutenir ouvertement des comportements trop contestataires ou revendicatifs. La Chine, qui refuse toute ingérence dans ses affaires intérieures et rejette toute critique vis-à-vis de ses propres pratiques policières, a pour doctrine de ne jamais mettre en cause les méthodes des autres pays. Et elle redoute par-dessus tout l’effet de contagion des mouvements de protestation.

Certes, les chaînes nationales chinoises ne manquent pas de diffuser les images des conflits sociaux à l’étranger, décrivant systématiquement de simples échauffourées comme de véritables émeutes, et les manifestants comme de dangereux hooligans. Il s’agit de souligner les défauts des pays démocratiques qui laissent proliférer le désordre et la contestation – démontrant a contrario les mérites du régime chinois, de son « gant de fer » et de son splendide ordre public.

On imagine donc le dilemme des télévisions d’État chargées de rendre compte des récents heurts devant le commissariat du 19e arrondissement, avec dans le rôle des « hooligans » de jeunes compatriotes… Les téléspectateurs de CCTV n’ont donc pas vu les images de Chinois énervés en train de se heurter aux policiers, de leur jeter des bouteilles en verre ou de mettre le feu à des voitures de police. Les chaînes ont choisi de ne pas s’appesantir sur ces incidents. Ce jeudi 30 mars, les événements de Paris ne figurent même plus sur la une des médias officiels ni sur les pages d’accueil des grands portails d’information. Vivement que tout rentre dans l’ordre.