La Chine est sous le choc depuis la publication sur le net d’une vidéo de surveillance qui dévoile les circonstances atroces de l’accident dont a été victime le 13 octobre une gamine de deux ans dans un marché de Foshan.

Écrasée par un minibus, la petite Wang Yueyue gît au milieu d’une étroite allée. En 9 minutes interminables, 17 personnes vont passer à quelques centimètres du petit corps ensanglanté agité de soubresauts. Personne n’intervient, personne n’appelle les secours. Écrasée une seconde fois par une camionnette, la petite fille sera finalement tirée au bord de l’allée par une pauvre ramasseuse de déchets qui réussit à alerter les parents.

Comment en sommes-nous venus à traiter nos enfants pire que des chiens ?

La vidéo a généré des millions de commentaires horrifiés et un débat sans précédent sur l’effondrement moral d’un système inhumain. « Comment en sommes-nous venus à traiter nos enfants pire que des chiens ? » se demande un internaute avec désespoir. « Il y a quelque chose de pourri au royaume de PC chinois » se désole un autre commentateur.

La faute à qui ? Beaucoup d’internautes incriminent le fameux « jugement de Nankin ». En 2006, un jeune homme était venu en aide à une personne âgée tombée en descendant d’un bus. Pour toute récompense, il s’était retrouvé accusé par ce même vieillard d’avoir provoqué sa chute. Un tribunal de Nankin avait donné raison à l’accusation et avait condamné le jeune homme à payer les frais médicaux. La logique du juge mérite que l’on s’y arrête : le jeune homme était forcément coupable, car « une personne innocente n’aurait jamais porté secours à un inconnu » ! La leçon a été retenue par tous. « Surtout, ne te mêle pas des affaires d’autrui » est un principe inculqué aux enfants dès le berceau.

Un des 17 passants indifférents filmés par une caméra de surveillance

D’autres commentateurs rappellent qu’en Chine, il n’existe pas de délit de « non-assistance à personne en danger ». Pas plus qu’il n’existe un système d’assurance couvrant la responsabilité civile des individus. Chacun craint donc de se retrouver injustement accusé dans une affaire qui peut entraîner la ruine de toute sa famille.

« Pauvre petit ange victime d’une société sans cœur, pour ta prochaine vie, surtout ne renais pas en Chine… », écrit une internaute éplorée. Pourtant, le drame de la petite Yueyue ne sera peut-être pas totalement inutile : des voix s’élèvent pour la création du crime de non-assistance à personne en danger, afin que les bons Samaritains cessent d’être systématiquement traités en criminels potentiels.

 La plupart des commentateurs se sont focalisés sur l’indifférence glaciale des 17 passants qui ont choisi de détourner les yeux. Mais dans cette histoire affreuse, il y a plus perturbant encore : c’est le comportement du premier minibus. Des internautes ont scruté les images et conclu que le chauffeur, qui roulait sans excès de vitesse, n’avait sans doute pas aperçu la minuscule silhouette de l’enfant dans cette allée mal éclairée. L’accident en soi était un drame terrible, mais pas un scandale moral.

Il en va autrement de la suite de la vidéo. Une fois que les roues avant du minibus sont passées sur le petit corps, le véhicule marque un temps d’arrêt. Le conducteur a senti qu’il était passé par-dessus quelque chose. « Dans un monde normal, le chauffeur serait descendu, il aurait découvert la victime, il aurait appelé les secours, la petite Yuyue avait une chance de s’en tirer… » se lamente un internaute. Mais là, à Foshan, le chauffeur choisit au contraire d’appuyer sur l’accélérateur, de passer une seconde fois sur le corps et de prendre la fuite – permettant ainsi à la camionnette suivante de réitérer le drame, l’enfant à terre étant désormais encore moins visible…

La presse chinoise a rapporté que, au moment de son arrestation, le chauffeur du minibus aurait déclaré : « Si elle meurt, j’en suis quitte pour verser une indemnité. Si elle survit, je vais devoir payer ses soins jusqu’à la fin de ses jours… »

Le calcul, dans sa terrifiante clarté, était vite fait. C’est avec raison que les internautes accablent l’inhumanité de ces ignobles petits comptes. Mais là encore, comment ne pas pointer l’écrasante responsabilité d’une législation inepte et littéralement « pousse-au-crime » ? Plus généralement, dans un système qui fait si peu de cas des droits vitaux de ses citoyens, il est malheureusement inévitable de voir certains de ces citoyens se conduire avec aussi peu de scrupules que les puissants.