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Guo Meimei, la lolita du web chinois, tour à tour actrice, dirigeante de la Croix Rouge, patronne de tripot et « escort girl » à 14 000 euros la nuit, est-elle allée trop loin ? Elle vient d’être condamnée à cinq ans de prison.

C’est la reine du bling-bling, l’impératrice du m’as-tu-vu, la petite fille riche que les Chinois adorent haïr. Guo Meimei – dont le prénom signifie « jolie-jolie » – a régné pendant cinq ans sur le monde survolté des réseaux sociaux. Son compte Weibo (le Twitter chinois), monument de narcissisme tapageur, était suivi par près de 2 millions de fans, dont de nombreux détracteurs qui l’inondaient de messages acides. Imperturbable, « Meimei baby » les régalait d’un flux de selfies avantageux. Gros plans sur son visage en forme de cœur, ses yeux ronds d’héroïne de manga, sa moue aguicheuse, son décolleté pigeonnant, sa taille de guêpe. Photos en pied la montrant attifée de chiffons hors de prix, paradant dans des décors dégoulinant de cristal et de marbre.

Le prénom de Guo Meimei signifie “jolie-jolie”.

Le prénom de Guo Meimei signifie “jolie-jolie”.

Sur d’autres clichés, on la voyait au volant de sa Maserati blanche, son « petit cheval », ou de sa Lamborghini orange, son « petit buffle ». Ou encore assise en première classe dans un avion, à cheval dans une tenue stricte de cavalière anglaise, se prélassant dans un jacuzzi débordant de mousse, enfourchant un jet-ski sur une plage tropicale, câlinant un lionceau… Jusqu’à cette dernière image d’elle, méconnaissable, diffusée cette fois par tous les médias officiels du pays : sagement assise entre deux policiers, face au tribunal. Le 10 septembre, la starlette a été condamnée à cinq ans de prison et incarcérée.

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Dans un pays qui a connu un enrichissement d’une ampleur et d’une rapidité sans précédent, où le nombre de milliardaires double tous les deux ans, Guo Meimei était devenue l’archétype de ces gosses de riches écervelés, élevés dans l’ignorance totale des valeurs morales et des codes du savoir-vivre, éradiqués par Mao. Ces enfants de la caste des nouveaux riches, qui se livrent une concurrence effrénée sur le Net, singeant Paris Hilton et exhibant diamants, fringues griffées, sacs Hermès et voitures de sport.

Les filles postent des vidéos où elles brûlent nonchalamment des billets de banque par paquets ; les garçons se retrouvent la nuit dans des tunnels déserts pour jouer aux auto-tamponneuses avec leurs Porsche et leurs Ferrari. Mais au milieu de cette faune, Guo Meimei est un cas particulier. Elle n’est pas une héritière. Sa mère, ancienne masseuse dans un spa et serveuse dans un salon de thé avant de gagner un peu d’argent en Bourse, l’a élevée seule. Sa soudaine notoriété, la jeune fille la doit à une petite modification apportée il y a quatre ans à son profil Weibo.

Croqueuse de diamants

Ce jour de juin 2011, elle efface la mention « actrice, chanteuse » et la remplace par une fonction nettement plus chic : « Directrice générale de la section commerciale de la Croix Rouge chinoise ». Un bobard ? Non, le compte de Guo Meimei est bien vérifié et validé par Weibo. En un clin d’œil, la blogosphère s’enflamme. La branche chinoise de la Croix Rouge est un organe quasi étatique, dirigé par des cadres haut placés du Parti communiste. Comment une gamine de 19 ans peut-elle y occuper une telle position ? Piston ! Favoritisme ! s’indignent les internautes, outrés, persuadés que « Meimei baby » est la fille d’un gros bonnet du Parti.

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Comme à chaque fois qu’un scandale éclate sur les réseaux sociaux, des « enquêteurs » autoproclamés passent le Net au peigne fin pour amasser le maximum de « preuves ». Ils exhument sans peine les multiples comptes de la golden girl. Un tourbillon de photos équivoques s’abat sur les forums. Le doute n’est plus permis : Guo Meimei n’est pas une fille à papa, c’est une croqueuse de diamants, ce qu’on appelle ici une « maîtresse professionnelle ». Son amant ? À coup sûr un des plus hauts dignitaires de la Croix Rouge. Quant à son train de vie ahurissant, qu’aucun salaire de fonctionnaire ne suffirait à assumer, il ne peut provenir que… des dons versés à la Croix Rouge !

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Un déluge d’injures s’abat sur la « petite dévergondée ». Une meute furieuse tente de démasquer son protecteur. Chacune des photos de Guo Meimei est examinée à la loupe. Remontant la piste de la Lamborghini orange, les limiers découvrent qu’elle est immatriculée à Shenzhen, au nom d’un certain Wang Jun. Or un Wang Jun figure précisément dans l’organigramme de la Croix Rouge, avec rang de ministre qui plus est. Peu importe qu’il s’agisse d’un nom et d’un prénom extrêmement répandus, l’homme sera cloué au pilori, et avec lui la Croix Rouge toute entière. L’organisme étant le seul autorisé à recevoir des dons des particuliers, chaque Chinois ou presque lui a, un jour ou l’autre, versé son obole. « Rendez-moi mon fric ! » devient le cri de ralliement d’une population qui s’estime flouée.

Attaquée de toutes parts, la direction de la Croix Rouge publie un communiqué niant tout lien avec la dénommée Guo Meimei. L’intéressée confirme sur son compte Weibo : non, elle n’a jamais travaillé pour la Croix Rouge proprement dite, mais pour une société distincte rattachée à sa branche commerciale. Nouveau coup dur pour l’organisme : après s’être obstiné à nier l’existence de toute activité commerciale, il est contraint d’avouer ses liens avec une foule de sociétés privées, qui lui versaient des royalties en échange de l’exploitation de sa « marque ».

« Petites épouses » et concubines

Au cours d’une longue interview donnée à une chaîne provinciale, « Meimei baby », qui se décrit comme une « gamine ignorante et vaniteuse », tente de justifier les subtilités de ce montage. Comment a-t-elle obtenu ce titre ? Au cours d’un repas avec le dénommé Wang Jun – « ce n’est pas un membre du gouvernement, simplement un homme d’affaires fortuné qui m’aime beaucoup » –, celui-ci évoque une société dans laquelle il vient d’investir.

J’ai trouvé le nom de cette société très chic, je lui ai dit : « Oh, je veux le titre de directrice générale ! » Il a dit en riant : “D’accord, d’accord. Et il me l’a donné. » C’est tout.

Wang Jun est un homme généreux. Il ne recule devant rien pour faire plaisir à ‘Meimei baby’. ‘Pour mes 20 ans, il m’a offert une Maserati blanche’, raconte-t-elle en battant des cils. Quel rôle l’homme joue-t-il précisément dans sa vie ? ‘Il est mon ‘gandie’‘(‘mon parrain’) répond-elle sobrement, offrant à la langue chinoise une nouvelle expression pour désigner ce phénomène de plus en plus répandu des hommes d’âge mûr qui, moyennant quelques faveurs, financent le train de vie d’une lolita. Une version moderne, débridée et ostentatoire du monde des ‘petites épouses’ et concubines que les Chinois pensaient aboli.

Au cours d'une interview télévisée, Guo Meimei a raconté comment elle avait obtenu le titre de Directrice générale de la section commerciale de la Croix Rouge, avant de fondre en larmes.

Au cours d’une interview télévisée, Guo Meimei a raconté comment elle avait obtenu le titre de Directrice générale de la section commerciale de la Croix Rouge, avant de fondre en larmes.

Le mea culpa télévisé de Guo Meimei s’achève dans les larmes. La Croix Rouge chinoise, elle, ne se relèvera pas de ce discrédit. On l’appelle désormais ‘Croix Noire’ – en chinois, la mafia se dit ‘société noire’. Les dons chutent de 90 %. Deux ans plus tard, lorsqu’un séisme frappe le Sichuan, les appels aux dons reçoivent 140 000 réponses identiques se réduisant à un seul mot : ‘Gun’ (‘Casse-toi’). Aujourd’hui, les âmes charitables préfèrent se tourner vers la poignée d’organisations privées qui ont récemment obtenu le droit de mener des actions caritatives.

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« Trop riche pour vendre mon corps »

Après le scandale, Guo Meimei s’éclipse brièvement, puis retourne à ses extravagances. Du ‘gandie’ Wang Jun, il n’est plus question. Sur Weibo, elle poste des selfies depuis Macao, dont elle fréquente assidûment les plages de sable fin et les tables de jeux. On la voit sillonner la Chine, chanter et danser dans des boîtes de nuit bondées, et continuer d’exhiber sa dernière paire de sandales italiennes couvertes de strass, sa dernière robe de princesse, son dernier bijou de chez Bulgari.

En face, les ‘inspecteurs’ du web ne cessent de fouiller son passé. Apparaissent ainsi des photos, livrées par des employés d’une clinique de chirurgie esthétique, qui la montrent le visage bouffi couvert de bandages après le remodelage de ses paupières, de son nez, de ses pommettes, de son front, de sa mâchoire… Ou encore une vidéo très explicite où on la voit à genoux, regard langoureux, prodiguant son savoir-faire à un partenaire dont on n’aperçoit que le bas du corps… Le nombre de ses fans ne cesse d’augmenter. Elle les gratifie désormais de photos de son enfance modeste, de sentences pseudo-philosophiques inspirées de son ‘expérience’ et de ses ‘combats’. À 22 ans, la notoriété de la self-made bimbo fascine autant qu’elle irrite les gosses de riches avec qui elle rivalise.

Après le scandale de la Croix Rouge, la jeune Chinoise, ici dans les bras de sa mère, s'est mise à poster sur internet des photos de son enfance modeste.

Après le scandale de la Croix Rouge, la jeune Chinoise, ici dans les bras de sa mère, s’est mise à poster sur internet des photos de son enfance modeste.

Parfois, les clashs dérapent. Comme lors de l’affaire des ‘call-girls de Hainan’. Cette grande île tropicale au large du Vietnam accueille chaque année le salon ‘Style de vie et Yacht Show’, qui attire une foule de nababs et de jet-setteurs et donne lieu à de gigantesques orgies. Lors de l’édition 2013, la gazette locale rapporte que 2 000 préservatifs ont été utilisés en trois jours. Et qu’un mannequin a amassé 600 000 yuans (85 000 euros) en échange de sa participation aux partouzes. La fête sera perturbée par la police, qui soumet une brochette de célébrités à un dépistage de drogue.

Le scandale rebondit sur le Net quand un fils de milliardaire, Chen Junyu, 19 ans, publie un post accusant Guo Meimei d’avoir monnayé ses charmes lors de ces bacchanales. Riposte de l’intéressée : une photo d’elle brandissant 10 jetons de casino d’une valeur de 5 millions de yuans (650 000 euros), accompagnée d’une courte phrase : ‘Trop riche pour vendre mon corps.’ C’est l’escalade : l’héritier, piqué au vif, dégaine une capture d’écran de son propre compte bancaire, affichant un solde positif de 3,7 milliards de yuans (520 millions d’euros). Puis un autre candidat au titre suprême du bling affiche son propre relevé bancaire : 9,9 milliards de yuans, soit 1,4 milliard d’euros !

Confession

L’épisode, dans un pays marqué par des écarts de richesse abyssaux, déclenche une vague de commentaires haineux. Une fois de plus, Guo Meimei a déclenché une polémique explosive qui jette un jour cru sur la fragilité du consensus social. ‘Tout ça finira dans le sang’, menacent certains. Indifférente comme toujours au scandale qu’elle a provoqué, Guo Meimei se lance dans le tournage d’un film autobiographique intitulé en toute simplicité ‘Je suis Guo Meimei’, financé par ses propres deniers et où elle tient le rôle-titre. Elle rencontre le grand amour, un certain Gerald, beau gosse sud-africain, un professionnel du tapis vert qui lui transmet sa passion.

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Bien que les jeux de hasard soient interdits en Chine, le jeune couple inaugure dans les beaux quartiers de Pékin un cercle ouvert à des invités triés sur le volet. A raison de 3 à 5 % prélevés sur toutes les mises, ‘Meimei baby’ arrondit sa pelote. En 2014, en prévision de la Coupe du Monde de football au Brésil, elle crée un site de paris en ligne, basé à l’étranger…

Est-elle allée trop loin ? A-t-elle offensé trop de puissants ? S’est-elle retrouvée un jour sans protecteur, sans ‘gandie’ ? Ou le président Xi Jinping a-t-il finalement décidé de sévir contre les extravagances des nantis du régime, en abattant son symbole le plus sulfureux ? À la veille de la finale Allemagne-Argentine, la jeune patronne de tripot est arrêtée avec 8 complices. Seul le beau Gerald échappe au coup de filet.

Quelques semaines plus tard, Guo Meimei apparaît à la télévision un dimanche soir, affublée de l’uniforme orange des prisonniers. C’est la première fois que ses fans la voient au naturel, sans maquillage ni brushing : ils découvrent, émus, une jeune fille pâle aux lunettes rondes, qui pleure comme une madeleine. Elle est là pour faire une confession publique, comme avant elle des dissidents, des avocats, des journalistes.

A l'issue de son procès, le 10 septembre dernier, Guo Meimei a été condamnée à cinq ans de prison pour avoir crée un site de paris en ligne et ouvert un cercle de jeu privé à Pékin.

À l’issue de son procès, le 10 septembre dernier, Guo Meimei a été condamnée à cinq ans de prison pour avoir créé un site de paris en ligne et ouvert un cercle de jeu privé à Pékin.

Et la sienne va faire sensation : elle admet sa vanité, son égocentrisme, son addiction au jeu, son goût du fric, sa recherche de gloriole. Elle confesse tout : le cercle de jeu, le site de paris en ligne, et même les relations tarifées avec des clients fortunés. Mais son exercice de contrition ne masque pas sa profonde fierté d’en être arrivée là.

‘Je ne prenais pas moins de 100 000 yuans (14 000 euros) pour une rencontre, précise-t-elle sans ciller. Je vous assure qu’il ne manquait pas d’hommes désireux de passer une nuit avec moi, à n’importe quel prix.’ Guo Meimei n’a sans doute pas compris que son crime est d’avoir révélé le vrai visage, immoral, égoïste et décadent, de la caste dirigeante.