Depuis sa création en 1992, la chaîne « exilée » DVB, la plus populaire en Birmanie, sert de voix à la dissidence. Interview de Khin Maung Soe, son directeur de la rédaction.

Khin Maung Soe est directeur de la rédaction de la chaîne de télévision DVB (Democratic Voice of Burma). Il a été prisonnier politique pendant 4 ans de 1992 à 1996. (Capture de You Tube)

Khin Maung Soe est directeur de la rédaction de la chaîne de télévision DVB (Democratic Voice of Burma). Il a été prisonnier politique pendant 4 ans de 1992 à 1996. (Capture de You Tube)

La chaîne de télévision DVB (Democratic Voice of Burma) a été créée en 1992 d’abord comme une radio libre basée hors du territoire birman. Aung San Suu Kyi venait de recevoir le prix Nobel de la Paix et vivait en résidence surveillée.

Les fondateurs de la radio – aujourd’hui des quadras et des quinquagénaires – étaient à l’époque d’ex-leaders du soulèvement étudiant de 1988 qui fut sauvagement écrasé par la junte. Ils avaient dû se réfugier dans les jungles frontalières habitées par les minorités ethniques. Ils racontent tous le choc qu’ils ont ressenti en arrivant chez ces peuples dépeints par la propagande officielle comme des bandes de terroristes : les “assassins” les ont accueillis à bras ouverts, leur ont permis de survivre dans la jungle, les ont aidés à passer la frontière. Réfugiés à l’étranger, certains de ces étudiants ont décidé de créer un média libre afin de combattre la propagande.

C’est avec l’aide du gouvernement norvégien que la radio DVB a vu le jour, et c’est en Norvège que se trouve toujours son siège principal. La rédaction, elle, se concentre à Chiangmai, en Thaïlande, non loin de la frontière birmane. Ayant débuté avec une heure d’émission radio par jour, la DVB s’est lancée en 2004 dans la télévision, avec une émission hebdomadaire d’une heure. Elle émet désormais trois heures par jour de news, d’interviews, de documentaires et de talk-shows – des contenus vivants et surtout indemnes de la lourde langue de bois qui imprègne la télévision nationale.

La plus regardée de Birmanie

Du coup, la DVB transmise par satellite à partir d’Oslo et impossible à “stopper” ou à brouiller est devenue la télévision la plus regardée de Birmanie. Elle est reçue jusque dans les villages les plus reculés, où le moindre “tea-shop” la propose à un public fan de football anglais.

La DVB a 200 000 abonnés. Les non-abonnés qui reçoivent tout de même le signal sont estimés entre un et deux millions. L’audience globale de la chaîne serait de 10 millions.

La DVB a également un site internet en birman bien sûr et depuis peu en anglais (dvb.no). Il est extrêmement visité car il fournit une information authentique inexistante au sein du pays. Depuis que le gouvernement a décidé de lever complètement la censure sur internet, notre site est accessible en Birmanie. Mais le réseau est extrêmement lent et instable et seuls 1 ou 2 % de la population sont connectés.

Des reporters clandestins

Ce qui fait le prix de l’information offerte par la DVB, c’est son réseau de “reporters clandestins”. Ils sont présents partout dans le pays, et n’hésitent pas à se rendre partout où quelque chose se passe. C’est la DVB qui a fourni les premières images des manifestations de moines en 2007, qui seront connues dans le monde comme “la révolution de safran”. C’est un vidéo-reporter de la DVB qui a filmé la séquence tragique où un soldat de la junte jette à terre un photographe japonais et le tire à bout portant.

Ces vidéo-reporters paient un lourd tribut : plus d’une dizaine d’entre eux sont aujourd’hui sous les barreaux, parfois pour des peines très lourdes (plus de 20 ans de prison). Les interrogatoires qu’ils subissent sont de pures et simples séances de torture. Et les arrestations continuent, même si la situation est moins tendue aujourd’hui. (voir le site dédié freeburmavj.org)

Toujours illégale

Le changement de ton du gouvernement n’a encore entraîné aucun changement fondamental pour nous. Nous sommes toujours un média “non enregistré”, donc “illégal”. Nous recevons des invitations verbales de la part de certains hauts personnages du gouvernement “civil” actuel, nous suggérant de rentrer en Birmanie, mais nous souhaitons une invitation officielle et collective adressée à tous les médias exilés.

Sur le terrain, nous voyons des signes encourageants : quand nous appelons les gens au téléphone pour les interviewer sur un incident qui s’est produit près d’eux, il y a seulement quelques mois, la personne au bout du fil raccrochait dès qu’elle entendait “DVB”. Aujourd’hui, de plus en plus de citoyens birmans acceptent de nous parler.

Depuis quelques mois, les journaux “officiels” peuvent interviewer le président Thein Sein. Nous-mêmes, bien que “média illégal” à l’intérieur du pays, avons pu participer à la conférence de presse que le président a tenue à Bali récemment pour un sommet de l’ASEAN. C’est une grande nouveauté.

Nous avons appris que le chef du bureau Birmanie de la Voix de l’Amérique a rencontré le Ministre de l’Information. On dit que le gouvernement va autoriser la venue de deux correspondants dans un futur proche.

La fin de la censure ?

Les médias “à l’intérieur” ont vu la censure s’alléger petit à petit, même si on est loin du compte. D’abord sur les contenus portant sur les loisirs et la santé (il y a quelque mois), puis plus récemment sur le business, les questions juridiques, les faits divers (il y a trois semaines). Les questions politiques, elles, restent soumises à un contrôle étroit. Il est question de lever la censure totalement pendant la campagne qui va précéder les élections partielles de début avril.

Un des conseillers du président Thein Sein a affirmé que la censure sera abolie en 2012, de sorte que tous les organes de presse exilés pourront rentrer pour couvrir les élections.

Les trois prochains mois vont être cruciaux, et les élections vont représenter le grand test. Si tout se passe comme on nous le promet, ce sera un signe incontestable que le changement est en bonne voie.