Ex-prisonnier politique, Khin Zaw Win s’est investi de plus belle dans l’action militante en faveur des droits de l’homme.

Khin-Zaw-Win

Il arrive au rendez-vous avec un pansement sur la lèvre supérieure – une blessure laissée par un accident de moto sur les routes boueuses de l’Etat Kachin où il se trouvait quelques jours plus tôt. Dans cette région nordique soumise à une offensive militaire depuis juin 2011, l’armée commet des violences graves contre cette les ethnies minoritaires locales. « 100 000 personnes ont été contraintes de fuir devant l’avancée de troupes, explique-t-il. Elles manquent de tout. Je suis allé avec un groupe d’ONG pour leur porter des couvertures. Je travaille aussi sur le processus de paix : nous encourageons les deux parties à ouvrir des négociations effectives ».

Khin Zaw Win est un ex-dentiste, impliqué depuis sa jeunesse dans la défense des droits de l’homme. Un engagement qui lui a coûté cher : travaillant pour l’Unicef et entretenant des contacts avec Amnesty International ainsi que le rapporteur des Nations Unies pour les droits de l’homme, il est arrêté en 1994 pour « écrits subversifs » et « activités en faveur des droits de l’homme ». Condamné à 15 ans de prison, il est relâché en 2005 au bout de 11 ans derrière les barreaux. « Fin 2004, le clan qui tenait les services secrets a été purgé, explique-t-il, ce qui a ouvert la voie à plusieurs libérations de prisonniers politiques ».

Il faut savoir qu’en Birmanie, les députés, qu’ils soient du parti de la junte ou de l’opposition démocratique, n’ont qu’une idée très vague de ce en quoi consiste la fonction d’élu

« Au stade de l’apprentissage »

Depuis sa libération, Khin Zaw Win s’est investi de plus belle dans l’action militante en faveur de l’ouverture et des droits de l’homme. Il a travaillé avec une ONG d’aide aux victimes du Sida, puis une ONG de soutien aux agriculteurs. Actuellement, il dirige l’institut Tanpadipa, une ONG qui offre son savoir-faire aux petites associations pour les aider à se structurer et se développer. Parallèlement, il fournit un soutien aux nouveaux partis politiques – en particulier les partis d’opposition qui ont obtenu des sièges lors des élections (contestées) de 2010 et qui se sont regroupés dans une alliance baptisée « Fraternité ») – pour aider les députés, tous des néophytes, à remplir leur mission.

« Il faut savoir qu’en Birmanie, les députés, qu’ils soient du parti de la junte ou de l’opposition démocratique, n’ont qu’une idée très vague de ce en quoi consiste la fonction d’élu, explique-t-il. Ils en sont au stade de l’apprentissage du B-A-BA de la vie parlementaire. Ils n’ont pas d’accès à l’internet, pas de bureau, pas d’assistant parlementaire ! De plus, ils sont basés à Naypidaw, la capitale politique de la Birmanie, à 300 kilomètres de Rangoun. C’est loin, et ça rend la communication avec eux extrêmement malcommode. »

Un rôle de guide

Grâce à des financements étrangers (le gouvernement suédois est un des généreux donateurs), Khin Zaw Win fournit aux législateurs qu’il conseille ce qu’il appelle des ‘papiers d’arrière-plan’ pour éclairer les grandes questions sur lesquelles ils doivent légiférer.

« En 2011, plusieurs débats ont été lancés au parlement qui doivent déboucher sur des textes de loi, par exemple le débat sur la propriété du sol, sur la politique étrangère, la politique vis-à-vis des minorités, etc. Après des décennies d’isolement, les personnes informées sur les’ meilleures pratiques” internationales sur ces questions sont extrêmement rares… »

Khin Zaw Win joue aussi parfois au « guide », et emmène des députés – grâce à des invitations d’ONG étrangères amies – en voyage dans les pays voisins, pour qu’ils voient de leurs yeux comment fonctionne une démocratie. « Je vais en emmener quelques uns à New Delhi bientôt, à l’occasion d’une conférence, pour qu’ils voient comment fonctionne un système fédéral. Ça peut leur permettre de voir que le système fédéral est une bonne solution aux problèmes de la Birmanie avec ses populations minoritaires. Nous irons peut-être aussi à Paris, dans le cadre d’échanges parlementaires. La meilleure façon d’amorcer des évolutions en Birmanie est de créer des liens personnels avec des gens plus ouverts. Les relations personnelles jouent un rôle très important chez nous. Voyez ce qui s’est passé entre Ang San Suu Kyi et le président Thein Sein : ils ont trouvé, assez miraculeusement, un lien émotionnel qui a débloqué d’un coup l’impasse politique dans laquelle se trouvait le pays ».

La Birmanie est dirigée actuellement par un État faible qui n’a plus grand-chose de commun avec l’époque pas si lointaine de la dictature pure et dure

« J’ai appris la patience en prison »

Aux yeux des dissidents exilés qui n’accordent aucune confiance à tout ce qui vient de la junte et de ses affidés, les efforts de Khin Zaw Win sont au mieux des vœux pieux, au pire une collaboration avec le diable. L’ex-prisonnier politique comprend cette méfiance : « Tout est tellement opaque en Birmanie ! Ajoutez à cela que les choses se passent à Naypidaw et pas à Rangoun, et vous comprenez pourquoi il y a tant de doutes sur le processus d’ouverture. En réalité, il faut parler avec les gens de Naypidaw, il faut établir une relation de confiance avec eux, pour mesurer l’importance des changements impulsés par le président Thein Sein ».

« La Birmanie est dirigée actuellement par un État faible, insiste-t-il, qui n’a plus grand-chose de commun avec l’époque pas si lointaine de la dictature pure et dure. Aujourd’hui, l’armée est incertaine de son rôle. Et localement, les commandants agissent de leur propre chef, sans attendre un ordre de la hiérarchie, ou même en contradiction avec ces ordres. On l’a vu quand des gradés dans l’Etat Kachin ont désobéi à l’ordre du président de cesser le feu contre l’armée rebelle. »

Globalement optimiste quant aux perspectives futures, Khin Zaw Win veut rester prudent : « Notre système est très faible, donc très fragile. Qu’on aille trop vite ou trop lentement, on risque de le fragiliser encore. Il faut être très patient, je crois. De mon côté, j’ai appris la patience en prison…  ».