Depuis l’ouverture du congrès jeudi dernier, force est de constater que la routine et la contrôle-mania n’ont pas reculé d’un iota.
Venant au terme d’une année 2012 exceptionnellement fertile en rebondissements politiques – fuite d’un super-flic vers un consulat américain, chute d’un baron du régime, condamnation à mort de son épouse pour assassinat, révélations sur la fortune pharaonique de dirigeants suprêmes, etc. – le 18e congrès du Parti aurait pu lui aussi échapper – pour une fois – à la mise en scène implacable qui en fait un rituel aussi millimétré et opaque que la désignation d’un nouveau pape par le Vatican.
Cet événement capital pour la Chine et pour le monde, qui doit marquer l’avènement de nouveaux dirigeants pour les dix prochaines années, se déroule dans une atmosphère empesée, factice et ennuyeuse jusqu’au vertige.
À commencer par le discours-fleuve du secrétaire général sortant, Hu Jintao. Ce discours, censé donner tout à la fois un bilan de sa propre action au cours de la décennie écoulée et les lignes directrices pour la prochaine décennie, est un sommet de langue de bois.
Il accumule formules creuses (surtout d’autosatisfaction), reconnaissance d’« insuffisances » (surtout pour la forme) et recommandations diverses et variées (tout et son contraire). Le tout noyé dans une répétition obsessionnelle d’expressions toutes faites comme « socialisme aux couleurs chinoises » (l’innovation due à Deng Xiaoping) et « concept de développement scientifique » (l’apport théorique de Hu Jintao lui-même).
De sorte que la presse chinoise et internationale conviée à couvrir le congrès avait bien du mal à garder les yeux ouverts, à l’image de certains délégués âgés qui dodelinaient de la tête sous l’œil des caméras. Quelques minutes après le début du discours, les journalistes – et spécialement les journalistes chinois – cantonnés dans les balcons qui surplombent la grande salle du Palais du Peuple, trouvent un dérivatif à leur ennui en se photographiant sans fin les uns les autres sur fond des draperies rouges qui ornent la tribune solennelle du congrès.
D’autres, plus consciencieux peut-être, notent l’alignement insolite du leadership. Par exemple, l’ancien secrétaire général Jiang Zemin, pourtant retraité depuis dix ans, est là, assis à côté de Hu Jintao, là où devrait normalement se trouver celui qui doit succéder incessamment à Hu, Xi Jinping.
Tous les autres « vieux » sont là aussi, alignés sur la première rangée avec les membres actuels du Comité permanent. De quoi se poser des questions sur la latitude dont jouira Xi Jinping, quand il accèdera aux fonctions suprêmes dans une semaine.
Hu Jintao lit son discours d’une voix monocorde. À chaque fois qu’il tourne une page, les 2 500 délégués qui suivent le discours sur le document qui leur a été distribué, tournent la page en même temps. Comme les battements d’ailes de millions de papillons… Ce seront les seuls moments poétiques de toute la matinée.
Parfois, au terme d’une phrase, Hu Jintao fait soudain monter sa voix et termine sur une note qui se veut conquérante. Tous les délégués applaudissent alors de concert, mais de façon modérée. Il n’y aura aucun moment d’éloquence, aucune émotion collective.
Les journalistes se rabattent sur l’examen des délégués à l’aide de lunettes de théâtre. Tiens, ils n’ont pas tous les cheveux teints en noir de jais. L’ancien Premier ministre Zhu Rongji a le cheveu clairsemé et décidément gris.
Ça doit avoir une signification politique, puisque Zhu, qui fait partie de l’aile « libérale », n’hésite pas à affirmer qu’il n’est plus intéressé par les jeux de pouvoir. Certains correspondants étrangers se demandent si le fait de ne pas se teindre les cheveux peut être considéré comme un signe d’ouverture politique…
Jusqu’à ce que quelqu’un fasse remarquer une autre tête blanche : celle de Luo Gan, qui fut un féroce patron de la Sécurité dans l’équipe précédente. L’hypothèse « cheveux blancs = tendances libérales » sombre sans retour.
Une correspondante avance alors une autre hypothèse : dans une mer de cravates rouges, une cravate d’une autre couleur est signe d’audace et de non-conformisme. Justement, Zhu Rongji, toujours lui, porte une cravate rayée de filets bleus. Oui, mais… Wu Banguo exhibe une superbe cravate bleu ciel. Or Wu Banguo a multiplié les déclarations contre une évolution démocratique. L’hypothèse « cravate-bleue » rejoint l’hypothèse « cheveux-blancs » au cimetière des idées trop fun pour être vraies.
En sortant du Palais du Peuple, les mines déconfites des correspondants, leurs soupirs et les propos échangés à voix basse posent une seule question : « Qu’est-ce que je vais bien pouvoir écrire dans mon papier qui ne soit pas une resucée de tout ce qui a été déjà dit et redit ? »
Il faudra sans doute attendre la fin du congrès, en milieu de semaine, pour que quelque chose de nouveau puisse – peut-être – se produire. Tout le monde examinera avec curiosité les nouveaux dirigeants. En espérant avoir autre chose à interpréter que leur « body language » ou la couleur de leurs cravates…