C’est ce que les anglophones appellent le « line-up » – la file, la rangée. Fidèles à la tradition des congrès passés, les dirigeants nommés par le 18e congrès qui vient de s’achever se sont alignés sur un podium, face aux centaines de caméras et de journalistes entassés dans une salle toute en longueur.
Ce jeudi 15 novembre, sur le coup de midi, avec un retard de près d’une heure, les sept nouveaux membres de l’instance suprême du pouvoir – le Comité Permanent du Politburo – entrent par la droite, se suivant dans l’ordre de préséance. Ils se plantent devant une peinture monumentale de la Grande muraille, Xi Jinping au centre, les six autres de part et d’autre.
Puis Xi se place devant le pupitre pour prononcer son premier discours de secrétaire général. Après quoi, la « conférence de presse » s’achève sans que les journalistes ne puissent poser de questions. Les sept dirigeants ressortent par la gauche.
Le « body-language »
Xi est grand, baraqué, rond. Aucun signe de nervosité, rien qui rappelle la rigidité de son prédécesseur. Maintien naturel, sourire facile, expression amène. Il n’hésite pas à faire des gestes des bras et à promener tranquillement son regard sur l’assistance.
Quand il prononce son discours, il n’a pas les yeux rivés sur sa copie. Il semble presque improviser, se contentant de jeter de temps en temps les yeux sur ses notes. De sa voix sonore de baryton, il s’exprime clairement et sans aucun accent.
Ce dernier détail mérite d’être souligné, car le fait de parler correctement le putonghua (« langue commune ») est tenu en haute estime en Chine. Tous ceux qui ont une « mauvaise prononciation » marquée par leur dialecte provincial sont mal à l’aise quand ils doivent prendre la parole en public.
À l’évidence, Xi respire la confiance en soi et exhibe une autorité naturelle tempérée par une certaine rondeur.
Le discours
J’ai dit qu’il semblait improviser. Mais ce n’est qu’une impression : ce discours était bien sûr soigneusement écrit, chaque mot ayant été pesé et soupesé et ayant fait l’objet d’un accord avec Hu Jintao, voire avec Jiang Zemin (les deux prédécesseurs).
Étant placée à quelques pas de l’interprète qui traduisait au fur et à mesure, j’ai pu voir qu’il lisait la traduction anglaise imprimée à l’avance. Mais à un moment donné, il y a eu un petit flottement – qui tendrait à montrer que Xi a pris quelques libertés lors de son discours.
En effet, vers le milieu de son allocution, faisant état de la tâche qui attend le Parti, Xi dit : « datie xian yao zishen ying », qui signifie « Le forgeron (se dit en chinois batteur-de-fer) doit être lui-même dur ». Curieusement, l’interprète, pourtant excellent, donne une traduction bancale : « To make iron, the metal must be strong », qui signifie : « Pour faire de l’acier, le métal doit être dur ». Une tautologie, qui découle d’une compréhension erronée. Et semblerait dénoter un ajout fait au débotté.
Détail minuscule ? Il est en réalité hautement symbolique. L’incident, dit de « la phrase du forgeron », a déjà fait couler des torrents d’encre sur les blogs. Car à un moment aussi crucial que le premier discours de présentation à la presse, Xi Jinping se permet une liberté que Hu Jintao ne s’est jamais autorisé – ou n’a jamais été autorisé – à envisager.
On a beaucoup glosé sur le milieu « princier » dont est issu Xi Jinping et sur l’assurance que cette haute extraction lui confère. Les premiers signes, examinés à la loupe par les pékinologues, le confirment.
Autre incident significatif : au moment d’introduire les six autres membres du Comité Permanent, Xi les présente comme ses « collègues ». Terme banal et néanmoins exceptionnel, qui a fait sursauter tous les observateurs, car c’est la première fois qu’un terme fonctionnel est préféré à l’appellation obligatoire de « camarade ».
Autre signe : ni le terme « collègue », ni la « phrase du forgeron » ne figurent dans le texte publié par le quotidien officiel en langue anglaise, le China Daily…
Le contenu du discours
Apparemment rien d’inattendu. Comme Hu Jintao avant lui, Xi Jinping attribue au Parti des notes positives et des notes négatives. La première différence tient aux termes choisis : abscons et contournés dans le cas de Hu, simples et directs dans le cas de Xi.
Xi Jinping loue (mais en termes raisonnables) le rôle historique joué par le Parti dans l’émergence d’une Chine puissante et prospère, tout en soulignant (sans ambiguïté) les graves problèmes internes que le Parti doit affronter – nommément « la corruption de ses dirigeants, le fossé qui les sépare du peuple, trop de formalisme, trop de bureaucratie. »
Mais l’essentiel du discours est consacré non pas au Parti et à sa « construction », mais au peuple — Xi ne va pas jusqu’à parler de « citoyens ». Xi Jinping évoque une idée qu’il affectionne et qui a déjà fait débat dans les cercles informés : « C’est le peuple qui fait l’histoire. Ce sont les gens qui sont les véritables héros, c’est eux qui sont la source de notre force ».
Ce qui ressemble à une banalité est en réalité une réfutation assez audacieuse de l’idée dominante au sein du Parti selon laquelle c’est précisément le Parti qui fait l’histoire, et les membres du Parti qui sont les héros…
Vu sous cet angle, tout le discours peut se lire comme un appel aux puissants pour qu’ils cessent de se prendre pour « la source de la force » et qu’ils reviennent à la place qu’ils n’auraient jamais dû quitter : au service des gens, et non pas au-dessus d’eux.
Les omissions sont encore plus parlantes. On ne trouve pas trace dans ce discours de la phraséologie omniprésente dans les textes du Congrès. Par exemple, Xi ne cite pas une fois la litanie des penseurs dont se réclame le PCC : « le marxisme-léninisme, la pensée Mao Zedong, la théorie de Deng Xiaoping, l’importante conception des Trois Représentations et le concept de développement scientifique » – les deux derniers étant les contributions respectives de Jiang Zemin et de Hu Jintao.
Or cette sacro-sainte série était invoquée jusqu’à la nausée dans les discours de Hu Jintao, alourdissant un style déjà indigeste.
Quant à l’autre expression favorite de Hu Jintao, « le socialisme aux couleurs de la Chine », Xi ne s’en sert qu’une seule fois. Mais contrairement à Hu qui se gargarisait des « glorieux » succès déjà enregistrés, Xi précise qu’il s’agit d’une mission que le Parti se doit de réaliser.
Il y a eu enfin une petite phrase, apparemment anodine, mais totalement inédite, qui m’a particulièrement frappée. Xi commence par louer le peuple chinois pour ses qualités – pour faire court – civilisationnelles :
« Notre peuple est un grand peuple. Au cours de sa longue histoire, les Chinois ont, par leur diligence au travail, leur bravoure et leur sagesse, créé un beau pays (…) et développé une grande culture dynamique. »
C’est là qu’arrive la petite phrase inédite :
« Notre peuple aime ardemment la vie ».
Suit un développement sur les attentes du peuple : éducation, travail, revenu, sécurité sociale, soins de santé, logements, environnement ; santé, jobs et vie heureuse pour leurs enfants.
« Réaliser leur désir d’une vie heureuse, là est notre mission », insiste Xi.
Amour de la vie.
Désir de bonheur.
Des idées absolument neuves en Chine – du moins dans le jargon politique, et certainement sans précédent dans la bouche d’un nouveau secrétaire général.