Élections ou guerre civile : le choix de la Thaïlande
par ursula-gauthier le 20 mai 2014 • 21 h 00 min Aucun commentaireL’armée a décrété la loi martiale en Thaïlande. Sans élections législatives, le pays pourrait sombrer dans la violence et le chaos
C’est aux aurores que le chef militaire suprême, le général Prayuth, a déclaré la loi martiale, mardi 20 mai. À trois heures du matin, les téléspectateurs étaient certainement bien rares. « Ceci n’est pas un coup d’État », s’est-il empressé d’affirmer, expliquant que cette intervention militaire ne mettait pas fin aux fonctions du gouvernement intérimaire. Le but, selon lui, est d’éviter que le pays, en proie au désordre depuis de nombreux mois, ne sombre dans la violence et le chaos.
Pour tous les observateurs, il ne fait pas de doute que l’armée fait preuve de retenue, voire d’un manque évident d’enthousiasme. Voici six mois que les foules royalistes, qui sèment la confusion dans le centre de Bangkok, appellent à cor et à cri les militaires à intervenir pour débarrasser le pays du gouvernement, bien qu’il soit issu d’élections démocratiques, afin de réformer de fond en comble la constitution.
Le gouvernement dans le viseur des royalistes
Les militaires ne montrant pas beaucoup d’empressement, ce sont les juges qui sont les premiers montés au filet. Un « coup d’État judiciaire » orchestré par des tribunaux peuplés de juges royalistes vient d’ailleurs d’obtenir la tête de la Première ministre par intérim Yingluck Shinawatra.
Mais la chute de cette dernière n’a pas suffi à calmer les « chemises jaunes » royalistes chauffées à blanc. Elles veulent la chute du gouvernement tout entier. Or l’équipe de l’ex-Première ministre est toujours aux responsabilités, et avec elle le parti majoritaire Pheu Thaï. Yingluck a simplement été remplacée par son ancien ministre du commerce, Niwatthamrong.
« Chemises jaunes » contre « chemises rouges »
Tout en se réjouissant donc de la loi martiale, les chemises jaunes font pression sur les généraux pour qu’ils aillent jusqu’au bout de leur logique et démettent pour de bon le gouvernement intérimaire, ouvrant ainsi la voie à la nomination d’un nouveau Premier ministre par le roi. Le pedigree du général Prayuth a de quoi les rassurer c’est un « Faucon » connu pour ses opinions ultraconservatrices, issu du corps de garde de la reine – un vivier de royalistes fervents. En 2006, lors du précédent coup d’État militaire qui mit fin au gouvernement de Thaksin Shinawatra – frère aîné de Yingluck – Prayuth était déjà un officier supérieur.
Les partisans des Shinawatra, en revanche, ne cachent pas leur indignation. Malgré la loi martiale, ceux qu’on appelle les « chemises rouges » » n’hésitent pas sur les réseaux sociaux à parler de « demi-coup d’État » » de « coup d’État fantôme » ou de « coup d’État déguisé. » Ce n’est pas entièrement faux puisque le pouvoir civil a perdu toute possibilité d’intervenir sur les questions de sécurité et que la police – notoirement pro-Thaksin – a été marginalisée par des généraux du bord opposé.
La loi martiale n’a qu’une utilité limitée
Les chemises jaunes ont donc marqué un point contre le gouvernement. Mais la loi martiale n’a qu’une utilité limitée
À court terme, elle peut permettre à l’armée de dégager la capitale des troupes ennemies, jaunes et rouges, qui campent dans des quartiers distincts mais qui risquent à chaque instant de déclencher des heurts graves.
À moyen terme, la loi martiale ne peut résoudre le problème de la vacance du pouvoir. Cela fait des mois maintenant que la Thaïlande fonctionne avec un gouvernement intérimaire et sans Assemblée. Le Sénat est la seule institution qui subsiste.
À long terme, le problème est encore plus inextricable. Ce ne sont évidemment pas les militaires qui peuvent régler la question de la transition du système politique vers la modernité ni résoudre le conflit profond qui divise la société en deux bords ennemis incapables de dialoguer.
Tous les observateurs ont donc les yeux fixés sur Prayuth. Ses choix dans les jours prochains peuvent favoriser une issue équilibrée au blocage, ou au contraire déclencher une révolte de la moitié de la population.
Vers une guerre civile
Deux scénarios sont possibles.
Premier scénario (plutôt favorable) une fois la capitale pacifiée, Prayuth organise des élections législatives, interdisant aux chemises jaunes de bloquer les bureaux de vote comme elles l’ont fait en février dernier. Comme toutes les élections depuis 2000, c’est selon toute probabilité le parti thaksiniste Pheu Thaï qui remportera le scrutin. Si les Shinawatra ont la sagesse d’éviter de se présenter, ce seront leurs partisans qui dirigeront le nouveau gouvernement et mèneront la réforme de la constitution. Une solution qui présenterait l’avantage de mettre d’accord les chemises rouges – qui veulent avant tout des élections – et les chemises jaunes – qui sont rassurées par la loi martiale.
Second scénario (plutôt alarmant) les généraux profitent de leur mainmise pour écarter le gouvernement de Niwatthamrong et confier au Sénat le choix du nouveau Premier ministre, en violation de la constitution. Il ne fait guère de doute que les chemises rouges se soulèveront. L’armée étant au pouvoir, on peut s’attendre à une répression dure qui déclencherait une dangereuse spirale de violences pouvant aller – c’est l’avis de beaucoup de commentateurs – jusqu’à la guerre civile.