Les deux otages japonais exécutés par l’État islamique n’avaient a priori rien en commun. Entre le journaliste aguerri et le doux rêveur se cherchant un destin, récit d’une surprenante relation, nouée dans l’enfer syrien.

Goto-Yukawa

Tous deux ont porté la tunique orange des condamnés. Tous deux se sont agenouillés de part et d’autre de ce djihadiste menaçant, silhouette noire brandissant un couteau de combat, vitupérant avec un accent britannique. Tous deux ont finalement été décapités, à une semaine de distance, et l’image de leur corps supplicié a été pareillement diffusée par leurs assassins, suscitant l’effroi dans le monde entier.

Mais malgré les mois de captivité passés ensemble, malgré cette fin atroce et identique, les deux victimes japonaises de l’EI avaient en réalité très peu de choses en commun. Haruna Yikawa, exécuté le 24 janvier dernier, était un être perturbé, ballotté par les échecs et les errances, en quête d’un nouveau sens à donner à sa vie de paumé. Kenji Goto, exécuté une semaine plus tard, était au contraire un homme solide et équilibré, un des meilleurs correspondants de guerre du Japon, respecté pour son éthique professionnelle, son courage et sa générosité.

Comment deux êtres aussi dissemblables ont-ils pu se rencontrer ? Comment leurs chemins se sont-ils croisés et entrecroisés jusqu’à ce que la fuite en avant du premier les emporte tous deux vers la catastrophe finale ? Nous avons reconstitué l’histoire de cette amitié improbable et tragique, née et morte dans les sables et les déchirements de la Syrie.

1. Le sort s’acharne contre Yukawa

Tout commence en avril 2014, quand Haruna Yukawa débarque en Syrie, avec l’espoir d’y trouver un « nouveau départ ». Il a 41 ans, il sort de cinq années noires où il a accumulé pertes, fiascos et dérives. Nous connaissons assez bien l’histoire de cette dégringolade grâce aux récits très honnêtes qu’il en a lui-même donné sur son blog. Il y a eu tout d’abord, après des débuts pourtant prometteurs, la faillite de sa boutique en ligne de surplus militaires. Suivie d’une foule de tentatives infructueuses pour se relancer dans le business.

J’ai pensé que si je me ratais, je vivrais comme une femme, m’abandonnant pour le reste au destin.

En 2005, après la vente de sa société, Yukawa sombre dans une dépression profonde. Il est hanté par des idées suicidaires de plus en plus impérieuses. Jusqu’à ce jour de 2008 où, sous le coup d’une impulsion subite, il passe à l’acte. Un acte hautement bizarre, qu’il racontera plus tard dans un post intitulé « Une expérience de suicide assez peu commune ». Yukawa décide en effet de se supprimer en tranchant de sa propre main ses parties génitales, un geste qu’il assimile étrangement au seppuku – le suicide rituel des samouraïs dont on sait pourtant qu’ils ne pratiquaient pas l’auto-castration. « J’ai pensé que si je me ratais, je vivrais comme une femme, m’abandonnant pour le reste au destin », écrit-il dans son blog. Tout dans cet acte extrême correspond, non pas au fameux hara-kiri, mais à un désordre psychiatrique rarissime appelé le syndrome de l’auto-mutilation génitale, marqué par une dépression grave, une estime de soi en miettes, une identité sexuelle perturbée et des tendances psychotiques.

Haruna-Yukawa

Lorsqu’il débarque en Syrie pour la première fois en avril 2014, Haruna Yukawa, 41 ans, sort de cinq années noires et espère prendre un « nouveau départ ». (Tim Stewart News/Rex/Sipa)

Mais après avoir commis le geste fatal, Yukawa s’aperçoit qu’il tient encore à la vie. Il réussit alors à redresser ses jambes et à contenir l’hémorragie jusqu’au retour de sa femme. Elle le découvre baignant dans son sang au pied du canapé… Emmené aux urgences, il en réchappera. Mais, note-t-il avec dépit, son séjour à l’hôpital lui coûte 10.000 dollars. Il s’enfonce alors dans la dette, perdant peu à peu tout ce qu’il possède. Le sort semble s’acharner contre lui. Deux ans plus tard, en 2010, sa femme, qui semble avoir été un de ses rares soutiens, meurt d’un cancer des poumons. Plus solitaire et désespéré que jamais, Yukawa perd bientôt son appartement au profit de ses créanciers. Pendant plusieurs semaines, il mènera la vie d’un SDF, couchant sur les bancs des parcs publics…

Yukawa a tout perdu. Il est au fond du trou. Il trouve cependant le courage de se réinventer, peut-être encouragé par une diseuse de bonne aventure qui l’aide à se choisir un nouveau prénom – féminin cette fois : Haruna. Yukawa est maintenant persuadé d’être la réincarnation d’un personnage haut en couleurs du début du XXe siècle, Yoshiko Kawashima, surnommée « Bijou oriental », une célèbre princesse mandchoue devenue espionne au service du Japon impérial. Cette femme sulfureuse avait poussé son cousin Pu Yi, le dernier empereur de Chine, à collaborer avec les envahisseurs nippons en acceptant de diriger l’État fantoche du Mandchukuo. Surnommée souvent « la Mata Hari de l’Orient », la princesse tenait aussi d’un autre espion célèbre, le chevalier d’Eon, par son goût pour le travestissement. On la voit, sur de nombreuses photos, habillée en mandarin chinois, en gentleman à nœud papillon ou encore en cavalier à casquette et bottes de cuir. Arrêtée pour trahison par la Chine nationaliste, elle finira, comme Mata Hari, fusillée en 1948.

Yukawa a désormais un but : écrire un livre pour raconter la vie de ce personnage exceptionnel qu’il voit comme un autre lui-même. Il en parle sur tous ses comptes des réseaux sociaux, il la cite dans les vidéos qu’il poste sur YouTube. « Je veux que mon nom figure de nouveau dans les livres d’histoire, écrit-il. Je veux de nouveau mettre ma vie au service du plus grand nombre ». Le voilà qui se prend de passion pour l’histoire du Japon, pour les rivalités qui l’opposent au grand voisin chinois. Yukawa se rapproche de Ganbarre Nippon, un groupe d’ultra-nationalistes très en flèche sur la question des îles Senkaku-Diaoyu, pomme de discorde entre les deux puissances. En même temps, il s’intéresse aux questions des droits de l’homme en Chine, et de proche en proche, il découvre les conflits du Moyen-Orient. Et se trouve un nouveau « but » dans la vie.

2. Rêves de guerre

On ne sait pas quand ni pourquoi il met de côté son projet de livre. Il rêve maintenant de se rendre en Irak. « J’aimerais tant aller sur les champs de bataille comme reporter de guerre », écrit-il fin 2013. Il contacte des médias japonais, proposant de leur fournir les photos et vidéos qu’il réalisera une fois sur place. En même temps, il peaufine un autre projet : la création d’une société de sécurité para-militaire, qu’il finit par fonder en janvier 2014. La firme se nomme PMC, « Private Military Company », et se propose de fournir des services de protection aux sociétés japonaises implantées dans les régions à haut risque.

C’est ma dernière chance pour trouver enfin la réussite.

Malgré un site web ronflant, exhibant sur sa page d’accueil une carte des cinq continents, la PMC est une coquille vide dont Yukawa et l’unique « employé ». Son adresse à Tokyo est une simple boîte aux lettres. Mais cette pseudo-compagnie va permettre à Yukawa de réaliser son rêve d’un nouveau départ dans la vie. « C’est ma dernière chance pour trouver enfin la réussite », affirme-t-il. Décidé à acquérir une « expérience de terrain face à Al-Qaeda » afin de fournir des services crédibles à ses futurs clients, il emprunte quelques milliers de dollars, s’envole pour la Turquie, traverse la frontière clandestinement, et se retrouve dans la région d’Alep, au cœur de la fournaise syrienne.

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Haruna Yukawa, qui rêvait de devenir reporter de guerre en Irak, avait également fondé une société de sécurité para-militaire pour proposer ses services aux entreprises japonaises implantées dans la région. Il en était le seul employé. (Facebook)

On ne sait pas comment ce Candide entre en contact avec le Front islamique syrien, un groupement de rebelles salafistes rivaux de l’État islamique et opposés à l’idée du califat. Très vite, le « touriste de guerre » devient un partisan convaincu de la lutte à la fois contre l’armée de Bachar et les troupes de l’EI. Il fraternise avec des combattants du Front islamique. Sur Facebook ou Twitter, on peut lire encore les propos très amicaux qu’il échange avec ces derniers, ponctués de multiples « Allah Akbar ». Yukawa semble s’être très vite converti à l’islam, conquis par l’accueil et la fraternité que lui prodiguent ses nouveaux amis. Il veut les aider, par exemple en leur procurant des produits difficiles à trouver, des médicaments, ou des chaussures…

3. Rencontre syrienne

Nous sommes en avril 2014. Yukawa a été capturé par une brigade de l’Armée syrienne libre. Il s’agit cette fois de combattants laïques, d’anciens militaires ayant fait défection et qui luttent désormais contre le régime de Bachar. L’ASL ne sait pas trop quoi penser de cet oiseau bizarre qui ne parle pas un mot d’arabe, baragouine à peine l’anglais, et se dit musulman. Heureusement pour lui, un journaliste japonais se trouve précisément dans les parages pour filmer les effroyables destructions entraînées par les bombardements quotidiens que Bachar inflige à la population civile. À la demande de l’ASL, le journaliste accepte de rencontrer le prisonnier.

C’est ainsi que Kenji Goto entre dans la vie troublée de Yukawa, premier acte d’une relation improbable qui va le mener en quelques mois au désastre. Mais pour l’instant, il n’a devant lui qu’un individu inoffensif, presque pitoyable. Il n’a pas de mal à persuader l’ASL de le relâcher. Plus tard, Goto expliquera dans la presse japonaise que Yukawa était un homme perturbé mais très doux, qui avait gagné par sa gentillesse l’affection de ses geôliers. Ces derniers avaient pris l’habitude d’inviter ce bizarre prisonnier à leur table familiale…

Pour Yukawa, c’est de nouveau l’illumination. La rencontre avec le célèbre journaliste le met au comble du bonheur. Ébloui par ce sauveur providentiel qu’il voit comme un héros, il veut le prendre pour maître. Il le supplie de lui apprendre comment devenir un bon reporter de guerre, comment couvrir les conflits sans se mettre en danger.

On imagine la stupéfaction du journaliste. À 47 ans, Goto est un professionnel aguerri. Depuis plus de vingt ans, il couvre les conflits les plus meurtriers de la planète, choisissant le point de vue non des combattants, mais des civils, et spécialement des enfants. Il travaille en free-lance pour sa propre société, Independant Press, fondée en 1996, allant partout où les télévisions japonaises redoutent d’envoyer leurs journalistes. Il a ainsi tourné en Albanie, au Kosovo, en Afghanistan, en Tchétchénie, au Libéria, au Rwanda, en Irak des reportages diffusés sur les plus grandes chaînes japonaises.

Goto a aussi publié plusieurs livres révélateurs de son engagement et de sa capacité d’empathie : sur les « diamants du sang » et les enfants soldats au Sierra Leone ; sur une mère-célibataire adolescente vivant dans un « village du Sida » en Estonie ; sur l’envie d’école des petites filles afghanes… Entre deux reportages à haut risque, il trouve aussi le temps de collaborer avec l’UNICEF et l’agence de l’ONU pour les réfugiés. On le voit aussi sur les plateaux de télévision et dans les classes des lycées, expliquant avec feu aux Japonais plutôt indifférents le drame des enfants broyés par les grands conflits de notre temps.

Le journaliste Kenji Goto avait couvert de nombreux conflits depuis vingt ans, au Kosovo, en Afghanistan, en Tchétchénie, au Rwanda,  en choisissant le point de vue des enfants. (Twitter/International Business Times)

Le journaliste Kenji Goto avait couvert de nombreux conflits depuis vingt ans, au Kosovo, en Afghanistan, en Tchétchénie, au Rwanda, en choisissant le point de vue des enfants. (Twitter/International Business Times)

Goto a l’habitude de travailler avec des professionnels, des fixeurs et des assistants qui connaissent le terrain, ont des contacts et parlent la langue du pays. Ce gentil lunatique ne peut en rien lui servir. Est-il tout de même touché par la fragilité de Yukawa, sa sincérité, son enthousiasme ? Voire son courage ? Car il en faut pour venir se fourrer ainsi au cœur d’une guerre sauvage, même si cela confine dans son cas à l’irresponsabilité… Mais ce doux rêveur semble réellement touché par le drame des Syriens, contrairement à l’immense majorité de leurs compatriotes qui ne se sentent en rien concernés par les problèmes dans le reste du monde… Yukawa et lui ont au moins en commun cette compassion. Goto promet donc de prendre Yukawa comme assistant lors d’un prochain reportage.

4. “Goto est mon ami pour la vie”

Yukawa était un homme très amical, converti à l’islam, mais pas du tout extrémiste, pas du tout le cinglé des armes automatiques que l’on a prétendu

Ils rentrent tous les deux à Tokyo pour quelques semaines. Yukawa est au comble de la joie, car il va repartir en juin avec son nouvel ami, cette fois pour le Kurdistan irakien. C’est le deuxième acte de leur histoire, une période pleine d’excitation pour Yukawa. Pendant la semaine que dure le reportage, Yukawa poste des annonces sur les réseaux sociaux, diffuse des vidéos maladroites. Ils passent cinq jours à Erbil, logeant chez Fadi Qarmeish, le collaborateur habituel de Goto. Joint au téléphone, Qarmeish raconte : « Yukawa était un homme très amical, converti à l’islam, mais pas du tout extrémiste, pas du tout le cinglé des armes automatiques que l’on a prétendu. Il était là pour apprendre à devenir un photographe. Et Goto l’avait pris sous son aile et le traitait avec bonté. Goto traitait tout le monde avec bonté. Cet homme était la bonté même. Pour moi, il était comme un frère… » s’émeut Qarmeish.

Yukawa est transporté. « Goto est mon ami pour la vie. Ce n’est sûrement pas un hasard si nous nous sommes rencontrés en Syrie » écrit-il avec chaleur sur son blog. Il semble bien qu’une amitié très forte soit née pendant cette semaine ensemble à Erbil. Yukawa n’a pourtant pas abandonné ses fantaisies militaires, posant volontiers au « soldat de fortune », se faisant photographier avec délices devant un humvee américain, campé dans ses bottes militaires et ses uniformes de camouflage avec un fusil automatique dans les mains… Sur d’autres photos, il pose avec fierté aux côtés d’un Goto souriant.

En juin 2014, Kenji Goto emmène Haruna Yukawa avec lui en reportage à Erbil, dans le Kurdistan irakien. (Facebook)

En juin 2014, Kenji Goto emmène Haruna Yukawa avec lui en reportage à Erbil, dans le Kurdistan irakien. (Facebook)

5. Retour à Alep

Les deux hommes rentrent de nouveau à Tokyo. Goto doit monter les sujets vidéo pour les télévisions. Mais Yukawa s’ennuie. Il ne rêve que de repartir, car « toute l’armée syrienne libre m’attend » s’imagine-t-il. Goto essaie de la raisonner. En vain. En juillet, Yukawa est de retour en Turquie, il retraverse la frontière, rejoint ses copains de l’ASL près d’Alep. Pendant quelques semaines, il documente ses activités en postant des vidéos sur Youtube. On sent qu’il s’efforce d’appliquer les leçons récemment apprises au Kurdistan irakien. Il filme ainsi l’exhumation horrifiante d’une dizaine de cadavres décomposés : des civils jetés dans un puits par l’armée de Bachar. Il transmet des images de villes transformées en gruyère.

Et soudain, son fil s’interrompt.

On aura des nouvelles de lui par une nouvelle vidéo, postée cette fois par d’autres que lui. On le voit allongé dans la poussière, le visage en sang, questionné en anglais. Il dit qu’il est Japonais, photographe, « demi-docteur ». Mais ses interrogateurs ne le croient pas. « Pourquoi tu as une arme ? Pourquoi tu es habillé comme ça ? » crient-ils.

On apprend que le 14 août, séparé de ses camarades à Merea à 40 kilomètres d’Alep, il est tombé dans les griffes des djihadistes de l’EI. Le Japon se retrouve brutalement impliqué dans un conflit dont il s’était acharné à rester éloigné. La plupart de ses compatriotes lui reprochent son irresponsabilité. Ils lui en veulent d’avoir créé un « incident embarrassant » pour son pays. Ils ne comprennent pas qu’il se soit converti à l’islam. Au Japon, l’islam est une religion d’immigrés – Pakistanais, Malais, Indonésiens. Seule une infime poignée se sont convertis à l’islam, et selon les services israéliens, seuls neuf Japonais ont rejoint les factions combattantes en Syrie… Pour la quasi-totalité de ses compatriotes, Yukawa fait donc figure de déséquilibré. On ne sait pas si le gouvernement japonais se préoccupe réellement de son sort.

Je suis Japonais, le Japon n’est pas impliqué dans cette guerre, il ne fait pas partie des ennemis de l’EI. Aucun mal ne m’arrivera.

Goto se démène pour son ami. Il raconte dans la presse leur rencontre, insiste sur sa gentillesse, sa vulnérabilité. Pendant des mois, rien ne se passe. On dirait que le Japon a fait une croix sur son encombrant ressortissant. Goto attend que sa femme enceinte accouche de leur deuxième enfant. Trois semaines plus tard, il fait son sac et reprend le chemin d’Alep. Il explique à son fixeur habituel qu’il veut aller à Raqqa, au cœur de la zone sous domination de l’EI. L’homme tente de le dissuader. « Ces gens-là sont différents, dit-il. C’est trop dangereux. » Mais Goto persiste. « Je suis Japonais, le Japon n’est pas impliqué dans cette guerre, il ne fait pas partie des ennemis de l’EI, répond-il. Aucun mal ne m’arrivera ».

6. Dernier acte

Il y a plus que la neutralité du Japon. Depuis 1997, Goto est converti au protestantisme. Sa foi profonde le pousse à se faire le porte-parole des victimes innocentes : « Dans les endroits où je vais travailler, les gens subissent des choses inimaginables, et pourtant ils continuent à vivre avec courage, répète-t-il. J’admire ces gens simples, je m’inspire de leur résilience. Si je peux le moins du monde faire passer leur message, et que cela contribue à une solution, je pourrai peut-être dire que mon travail aura servi à quelque chose ».

J’ai vu des endroits horribles et j’ai risqué ma vie, mais je sais que Dieu me sauvera toujours.

C’est aussi dans cette foi brûlante que Goto puise une partie de son courage. En mai dernier, répondant à une publication chrétienne, il affirme : « J’ai vu des endroits horribles et j’ai risqué ma vie, mais je sais que Dieu me sauvera toujours ». Ajoutant tout de même qu’il respecte avant tout la maxime biblique « Ne mets le Seigneur ton Dieu à l’épreuve », et ne court jamais de risques inconsidérés.

Ne tenez aucune rigueur aux Syriens s’il devait se passer quelque chose. Cela fait trois ans que le peuple syrien souffre. C’est assez. Je vais dans les zones tenues par l’EI pour raconter comment ça se passe là-bas.

Cette fois, pourtant, le risque est si élevé que son fixeur n’accepte de l’emmener que jusqu’à Marea, la ville proche d’Alep où Yukawa a été pris. À sa demande, le fixeur le filme sur son téléphone portable, déclarant avec une certaine solennité, d’abord en japonais puis en anglais, qu’il assume entièrement la responsabilité de tout ce qui pourrait lui arriver. « Ne tenez aucune rigueur aux Syriens s’il devait se passer quelque chose, dit-il avec force. Cela fait trois ans que le peuple syrien souffre. C’est assez. Je vais dans les zones tenues par l’EI pour raconter comment ça se passe là-bas ». Il conclut avec un sourire : « Mais il ne m’arrivera rien de mal. Je serai de retour dans une semaine. »

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En octobre 2014, Kenji Goto avait demandé à son guide syrien de le filmer déclarant qu’il assumait la responsabilité de ce qui pourrait lui arriver. Le journaliste s’est ensuite rendu à Raqqa, ville bastion de l’EI, pour tenter de faire libérer Yukawa.

Avec un autre guide, Goto monte dans un minibus de transport local. Destination Raqqa. Le 24 octobre, il tombe à son tour dans les mains de l’EI. Il va finir par retrouver Yukawa dans les geôles des djihadistes. C’est le troisième acte d’une amitié devenue tragique. Mais sur cette partie-là de leur histoire, nous ne possédons pas d’autres informations que les photos où, vêtus de la même tunique orange, ils sont agenouillés de part et d’autre du djihadiste dément qui invective l’Occident avec un accent britannique tout en brandissant le couteau qui va bientôt les décapiter.