Après la libération de prisonniers politiques, la signature d’un cessez-le-feu avec l’ethnie Karen, chère à Aung San Suu Kyi, marque un tournant.

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La Birmanie est-elle en train de changer pour de bon ? Cette semaine, depuis la déclaration de candidature d’Aung San Suu Kyi aux élections partielles, et surtout depuis la libération de centaines de prisonniers politiques, même certains parmi les plus sceptiques sont tentés d’y croire.

Il suffit de faire un tour sur le site de la revue fondée en Thaïlande par des opposants Irrawaddy.org. Sous le titre « La nouvelle tant attendue arrive finalement ! », un article du 13 janvier salue avec jubilation la libération d’environ 300 prisonniers politiques, dont des leaders célèbres de la révolte des étudiants en 1988, ainsi que de la révolution safran de 2007.

Le conflit entre les deux factions au pouvoir – les réformistes derrière le président Thein Sein, les « durs » du Conseil de sécurité nationale – est analysé, ainsi que la « détermination » du président à tenir sa promesse de relâcher les prisonniers. Impressionné par le courage de l’ex-général qui « a pris des risques personnels et professionnels », Irrawaddy affirme que le président mérite « les félicitations et la reconnaissance intérieure et extérieure », et conclut : « Pour la première fois depuis des décennies, la Birmanie a un dirigeant avec lequel le peuple peut travailler et qui souhaite travailler avec le peuple ».

Les libérations ont pesé

C’est un grand revirement dans la façon dont le président ex-général était dépeint jusque là dans les organes de presse des opposants exilés. Il est vrai que les libérations intervenues ce 13 janvier sont exceptionnelles, tant en nombre que par la qualité des prisonniers relâchés : des figures célèbres de la résistance, comme Min Ko Naing, leader du soulèvement des étudiants en 2008, ou le moine Ashin Gambira, leader de la révolution safran ; la totalité des vidéo-journalistes de la chaîne opposante Democratic Voice of Burma, dont certains purgeaient des peines de plus de 60 ans… Et jusqu’au général Khin Nyunt, ex-chef des services et ex-Premier ministre, limogé en 2004 pour avoir entamé une ouverture politique une époque où la junte et son homme fort, le général Tan Shwe, refusaient tout compromis avec l’opposition.

À y regarder de près, la plupart de ces libérations sont en fait des « suspensions » de peine susceptibles à tout moment d’être annulées. L’AAPP, l’association de soutien aux prisonniers politiques basée à Maesot, en Thaïlande, rappelle qu’il reste encore sous les verrous un nombre important d’opposants (le chiffre exact fait l’objet de discussions). Reste que le président commence à être perçu par les opposants exilés comme « sincère » dans sa volonté d’ouverture.

Le choix d’Aung San Suu Kyi entériné

« Sincère », c’est ainsi que la Dame de Rangoon l’avait jugé quand elle l’avait rencontré en son palais à Naypidaw en août dernier, et c’est la raison pour laquelle elle avait décidé d’accorder toute sa confiance à son projet de réforme. Voici qu’après avoir critiqué à mots parfois à peine couverts ce choix, une part non négligeable des exilés l’entérine à son tour.

Cette tendance à la confiance est encouragée par la signature ce jeudi 19 janvier d’un cessez-le-feu avec l’armée de la minorité Karen, après des décennies de guerre et d’exactions contre cette importante minorité ethnique. On apprend aujourd’hui que des pourparlers sont en cours avec une autre minorité, récemment entrée en rébellion, les Kachin.

La grande majorité des Birmans accueille avec transport les prisonniers libérés et tous les observateurs s’attendent au triomphe des candidats prodémocratie lors des élections partielles d’avril. Certains se souviennent pourtant que ce dégel n’est pas le premier de l’histoire récente. En 2003, le Premier ministre de l’époque, le général Khin Nyunt (qui vient d’être libéré après 7 ans de résidence surveillée), avait rencontré Aung San Suu Kyi et amorcé un dialogue avec l’opposition. On avait alors cru à un tournant historique. Il est à espérer que le mouvement impulsé par le président Thein Sein ne connaîtra pas le même sort.