À la tête de la dictature la plus fermée et la plus militarisée au monde, Kim Jong-un, troisième du nom, perpétue le pouvoir absolu d’un clan qui a fait du pays une affaire familiale

Corée du Nord : nationalisme et paranoïa

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Le 25 juillet, première historique sur les ondes nord-coréennes : la chaîne nationale annonce le mariage de Kim Jong-un avec « la camarade » Ri Sol-ju. Qui est l’heureuse élue ? D’où vient-elle ? Que fait-elle ? Les médias officiels se contentent de diffuser des images qui la montrent, souriante et élégamment vêtue, en compagnie de son corpulent mari. Paradoxalement, c’est de l’autre côté de la frontière la plus militarisée du monde qu’on en apprendra plus.

Selon les informations distillées par les services sud-coréens, Ri Sol-ju, 23 ans, serait la fille d’un universitaire, elle aurait appris le chant en Chine et se serait produite dans les spectacles kitsch des festivités officielles où elle aurait été remarquée par le jeune leader. Les Coréens du Nord, qui n’ont pas accès à la presse de leurs voisins, ne savent rien sur leur première dame.

« C’est déjà bien extraordinaire qu’ils connaissent son nom, commente Andrei Lankov, professeur à l’université Kookmin de Séoul. Les précédents Kim, qui ont eu chacun plus d’une épouse, ne se sont jamais montrés avec aucune d’elles. Le nom de Mme Kim Il-sung, grand-mère de l’actuel leader, n’a même jamais été rendu public de son vivant… Tout ce qui touche à la famille régnante est soit secret d’État, soit affaire de propagande. » 

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De fait, il y a trois ans seulement, la seule chose que l’on savait de celui qui vient de succéder à Kim Jong-il, mort en décembre dernier, c’était… son existence. Sept mois après sa prise de pouvoir, on ne connaît toujours pas son âge – 29 ou 30 ans –, ni sa formation, et encore moins ses idées politiques. Une opacité d’autant plus inquiétante qu’il s’agit de la seule dictature « hard » disposant de l’arme nucléaire…

Ce n’est donc pas une dictature militaire, comme on l’entend dire, mais plutôt une dictature familiale

L’appareil de propagande semble en revanche décidé à le présenter comme un nouveau Kim Il-sung. À l’image de son grand-père, Kim Jong-un se montre jovial, « proche du peuple », serrant volontiers dans ses bras soldats, travailleurs, enfants et autres citoyens sanglotant d’émotion. Jusqu’à sa coiffure, typique des années 1940 – mèches longues sur le dessus, rasées sur les côtés et dans la nuque – qui copie celle de l’ancêtre fondateur.

« Tous ces efforts prouvent que la “légitimité” est détenue par la famille Kim et elle seule, commente un diplomate. Ce n’est donc pas une dictature militaire, comme on l’entend dire, mais plutôt une dictature familiale. Les Kim, qui dirigent à la fois l’armée et le parti unique, sont la clé de voûte du système. » 

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Le troisième du nom vient d’ailleurs de limoger le chef d’état-major nommé par son père, le maréchal Ri Yong-ho. Certains commentateurs y voient le signe d’un tournant en faveur de réformes « à la chinoise ». Une évolution qui permettrait, enfin, de juguler les terribles famines qui ravagent le pays. Et de mettre un terme aux trafics mafieux – drogues, armes, faux dollars, faux Viagra, cigarettes, etc. – auxquels le pouvoir continue de se livrer afin d’alimenter ses caisses.

Ni stalinien ni confucéen, ce système est en réalité défini par un nationalisme infantilisant et paranoïaque, hérité du fascisme japonais des années 1930

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Réformes ou pas, Pyongyang n’abandonnera jamais l’arme nucléaire, bouclier d’un régime totalitaire fondé sur un nationalisme délirant. Créée en 1948 sur le modèle soviétique, la Corée du Nord s’est en effet rapidement éloignée du marxisme-léninisme, n’en conservant que certains éléments, comme le parti unique ou l’économie planifiée.

En 2009, toute référence au communisme est d’ailleurs supprimée de la Constitution. « Ni stalinien ni confucéen, ce système est en réalité défini par un nationalisme infantilisant et paranoïaque, hérité du fascisme japonais des années 1930. Le peuple coréen n’est pas le plus fort ni le plus intelligent, mais le meilleur, le plus animé de bonté et d’amour. Une race de grands enfants qui seraient perdus sans leur guide maternant. D’où l’imbrication de cette idéologie foncièrement raciste avec le culte de la famille Kim », affirme Brian Myers (1).

Bombardé « président éternel », feu Kim 1er fait aujourd’hui l’objet d’un rituel quasi religieux dans des sanctuaires baptisés Yeong Saeng (« vie éternelle »), érigés dans toutes les localités. Kim 2e vient à son tour d’être proclamé « secrétaire général éternel ». Et le 3e du nom est lui aussi en voie de divinisation rapide. Il y a quelques jours, un spectaculaire « Arirang » a été exécuté en son honneur par pas moins de 100 000 danseurs et gymnastes pleurant d’émotion…

(1) « La Race des purs », Editions Saint-Simon, 2011.


Parution Le Nouvel Observateur 9 août 2012 — N° 2492