L’empire du Milieu a l’ambition de devenir une grande puissance biotechnologique. Et son fleuron, le Beijing Genomics Institute, veut séquencer l’ADN des surdoués…
À 17 ans, Zhao Bowen, qui s’ennuie en classe, prend une décision audacieuse. Dans un pays voué au culte éperdu des diplômes, il arrête l’école et renonce à passer l’examen d’entrée à l’université. « Tout ça pour apprendre des trucs qu’on trouve de toute façon dans les livres ou sur internet ? J’avais mieux à faire », explique-t-il en riant. Depuis l’âge de 15 ans, dès qu’il avait une minute, Bowen filait rejoindre une équipe de scientifiques qui séquençaient le génome du concombre. « La génétique, ça, c’est fascinant ! » L’été précédent, il avait fait un stage chez les généticiens du Beijing Genomics Institute (BGI), le plus gros institut de biotechnologie au monde. Eux non plus ne croyaient pas aux diplômes. Dès qu’ils repéraient un jeune surdoué, ils lui offraient ce qu’aucune université ne peut proposer : un travail dans un labo ultra-équipé sur un sujet à la pointe de la recherche. Le petit passionné de génétique ne pouvait manquer de leur taper dans l’œil.
Nous, nous allons trouver les gènes liés à l’intelligence
Bowen a aujourd’hui 21 ans. Avec ses lunettes sages, ses jeans, et sa curiosité, il ressemble aux jeunes Chinois de son âge. Mais sa carte de visite porte la mention « Directeur du centre de génomique cognitive » – un labo doté d’un budget de plusieurs millions de dollars. La mission de Bowen : séquencer le génome de petits prodiges dans son genre, afin de trouver les racines génétiques du génie. Voici quatre ans qu’il s’y emploie à la tête d’une équipe de plusieurs centaines de jeunes chercheurs. « Les études sur les jumeaux et les enfants adoptés laissent penser qu’au moins 50 % de la variation du QI est due à la génétique, affirme-t-il. Mais quels gènes, dans quel coin du génome ? On ne sait pas. Nous, nous allons trouver les gènes liés à l’intelligence. »
Il n’ignore pas l’ampleur du défi. Une étude néerlandaise récente, portant sur le niveau de réussite académique, a dû éplucher pas moins de 125 000 génomes pour trouver à peine trois variants associés. Quiconque s’intéresse à la génétique du QI doit étudier les mutations susceptibles d’affecter une dizaine de milliers de segments du génome. Pour en localiser un seul, l’analyse doit porter sur un nombre faramineux d’individus. Peut-être un million.
Grâce à la collaboration de deux chercheurs l’un britannique, l’autre américain, l’équipe de Bowen a obtenu l’ADN de 2 500 purs génies au QI de 160 et plus. Pour comparaison, le QI moyen est de 100, celui des lauréats du prix Nobel de 145. Le séquençage serait très avancé.
« Personne d’autre ne dispose d’un tel échantillon, et personne n’a jamais fait un tel travail », affirme Steve Hsu, le physicien américain qui collabore au projet. Bowen garde les pieds sur terre : « Il nous reste à comparer ces génomes hors du commun avec un groupe témoin de personnes choisies au hasard. Nous sommes sûrs qu’avec assez de matière nous trouverons au moins une partie des gènes qui agissent sur le QI. »
Wang Jian, le patron du BGI, est convaincu que cette recherche débouchera rapidement sur un test génétique. Il permettra aux couples qui ont recours à la fécondation in vitro de sélectionner les embryons les plus « intelligents » ! Sur le long terme, le niveau de QI de la population générale s’en trouverait amélioré.
Aujourd’hui, nous avons un outil formidable qui peut faire faire un bond à nos connaissances. Et il faudrait ne pas s’en servir ?
En Chine, où les débats éthiques sont rares, ces propos ne déclenchent aucune polémique. Mais la réaction très vive de certains médias étrangers a servi de leçon. En attendant la publication des résultats, BGI évite désormais de communiquer sur le sujet. Bowen, lui, continue de parler librement à la presse. Car plusieurs disciplines, la psychologie, l’anatomie, ou les neurosciences se sont déjà penchées sur l’intelligence. « Aujourd’hui, nous avons un outil formidable qui peut faire faire un bond à nos connaissances. Et il faudrait ne pas s’en servir ? », s’étonne Bowen.
Le génome, plaide-t-il avec chaleur, est bien plus qu’un dépôt de traits hérités. C’est un système opérationnel qui contrôle le fonctionnement de nos cellules, de notre cerveau et de tout notre organisme. « Comprendre le génie n’est qu’un point de départ. Le but, c’est d’arriver à comprendre notre fonctionnement “normal”, à trouver notre “code source”. Nous pourrons alors mieux comprendre des dysfonctionnements comme l’autisme ou la schizophrénie. »
Une promesse à laquelle croit la prestigieuse « MIT Technology Review ». Dans le passé, cette revue qui observe l’univers bouillonnant des technologies de l’information a déjà distingué parmi ses « jeunes pionniers des technologies susceptibles de transformer le monde » de futurs poids lourds comme les créateurs de Google ou de Facebook. Elle vient de décerner le même honneur à Zhao Bowen.
Le BGI grande puissance biotech
Numéro un mondial de la génomique, le BGI (Beijing Genomics Institute) a déjà séquencé une foule de génomes : ceux du poulet, du ver à soie, du panda, du palmier-dattier, de plusieurs espèces de riz, du coronavirus du sras, d’un homme qui vivait au Groenland il y a quatre mille ans, etc. En 2013, elle a décodé 50 000 génomes humains, soit un toutes les dix minutes. Une prouesse. Avec ses 5 000 employés (23 ans d’âge moyen), et sa formidable armada de 156 séquenceurs (50 % de la capacité mondiale), BGI produit la moitié des données génétiques mondiales ! Le séquençage d’un génome ne coûte plus que 3 ou 4 milliers de dollars, et BGI compte diviser ce chiffre par dix. En ligne de mire, une foule d’avancées, dont la « génomique personnalisée », qui permettra d’offrir des soins adaptés au cas de chaque patient.
Fondée en 1999 par de jeunes scientifiques chinois formés aux États-Unis, BGI est une société privée qui se dit orientée vers la recherche, et non vers le profit. Pour les mauvaises langues, elle est le Foxconn de la biologie, une gigantesque usine de séquençage au kilomètre au service de commanditaires du monde entier : labos de recherche, groupes pharmaceutiques, hôpitaux… Comme tant d’entreprises « stratégiques », elle bénéficie des largesses de l’État qui lui a prêté 1,5 milliard de dollars.
Les dirigeants du BGI insistent au contraire sur leur indépendance. C’est pour desserrer le contrôle du pouvoir que la start-up aurait choisi de quitter la capitale pour s’installer à Shenzhen, à un jet de pierre de Hongkong où se trouve son siège international.
Le directeur exécutif, le bio-informaticien Wang Jun, est une rock star de la génétique. À 37 ans, il compte à son actif une soixantaine d’articles parus dans des revues de pointe comme « Science » ou « Nature ». Cette dernière l’a inscrit sur la liste des dix meilleurs scientifiques en 2012. Wang Jun ne fait pas mystère de son ambition : « Nous voulons allonger la durée de vie de cinq ans, augmenter la production globale de nourriture de 10 %, décoder la moitié des maladies génétiques et réduire de moitié les malformations congénitales. » Il vient de lancer GigaScience, une gigantesque base de données, ouverte et gratuite, qui regroupera à terme le code génétique de tous les êtres humains – et même de tous les êtres vivants. Une sorte de « bioGoogle », de « big data » génétique, dont l’exploitation devrait ouvrir la voie à d’excitantes percées scientifiques. L’occasion pour la Chine d’apporter une contribution majeure à la médecine moderne. La réalisation de cette folle ambition est en marche. Avec le concours d’investisseurs étrangers, le BGI vient de racheter pour 118 millions de dollars une société américaine, Complete Genomics, qui lui apporte ses brevets, sa technologie des plateformes de séquençage et surtout son fabuleux fonds de résultats génétiques.
Parution Le Nouvel Observateur 2 janvier 2014 – N° 2565
Traduction de cet article en anglais par Wordcrunch
A Chinese Prodigy’s Quest For The Genetic Roots Of Genius
Looking for the « source code »
BEIJING — When he was 17, Zhao Bowen was a bored student who made an audacious decision. In a country where the cult of diplomas knows no boundaries, he quit school and decided not to take the exam that would have allowed him university entry.
“All that fuss just to learn things that you can find in books or on the Internet anyway? I had better things to do,” he explains, with a laugh.
Starting at 15, Bowen spent his free time hanging out with a team of scientists who were sequencing the genome of the cucumber. “Genetics. Now that’s a fascinating thing,” Bowen says.
The previous summer, he had completed an internship with geneticists from the Beijing Genomics Institute, the largest biotechnology institute in the world. They didn’t have any use for diplomas either. As soon as they spotted an exceptionally gifted young person, they offered him what no university could: a job in an extremely well-equipped lab working on an advanced research topic.
Now 21, a bespectacled Bowen looks no different than other young Chinese men of his age. But his business card reads “Director of the Cognitive Genomics Center,” a laboratory with a budget of several million dollars. Bowen’s mission is to sequence the genome of little prodigies like him to find the genetic roots of genius.
He’s been working on it for four years, leading a team of several hundred young researchers. “Studies on twins and adopted children indicate that at least 50% of IQ variation is due to genetics,” he claims. “But which genes are involved, and which part of the genome? We don’t know. We’re going to find all the genes related to intelligence.”
He knows the enormity of the task. A recent Dutch study on the level of academic success had to review no fewer than 125,000 genomes to find just three associated variants. Those interested in IQ genetics have to study the mutations that may affect some 10,000 genome segments. To locate just one of those, an analysis has to include an incredibly high number of individuals, perhaps as many as a million.
Thanks to the collaboration of two researchers (one British and one American), Bowen’s team obtained the DNA of 2,500 pure geniuses whose IQs are over 160. As a comparison, the average human IQ is 100 and that of Nobel prize winners is around 145.
The sequencing is said to be in its advanced stages. “Nobody has such a large sample, and nobody has ever done such work,” says Steve Hsu, the American physician who is collaborating on the project.
Bowen, though, keeps his feet firmly on the ground. “We still have to compare these extraordinary genomes to a control group of randomly selected people,” he says. “We’re certain that with enough material we’ll find at least part of the genes that influence IQ.”
Wang Jian, president of the Beijing Genomics Institute, is confident that this research will soon lead to a genetic test, enabling, among other things, families who resort to in vitro fertilization to select the most “intelligent” embryos. With this method, the average IQ of the population would rise over the long term.
Ethics debates are rare and touchy in China, so while it awaits the results to be published, the Beijing Genomics Institute tries not to communicate on the topic. Bowen, however, has continued speaking freely to the press. “We are in possession today of a formidable tool that could take human knowledge one big step further. And we shouldn’t use it?” he asks.
He says the genome is much more than a sediment of inherited features. It’s an operative system that controls how our cells, our brains and our bodies function. “Understanding genius is just the beginning,” he says. “The goal is to understand our ‘normal’ functioning, to find our ‘source code’. We will then be in a position where we better understand disabilities like autism and schizophrenia.”
The prestigious MIT Technology Review believes in this promise. In the past, it has honored among its “individuals whose superb technical work promises to change the world” the future giants would go on to create Google and Facebook.
Last year, Bowen was one of them.