Personne ne croit vraiment à la guerre, mais dans une atmosphère survoltée, tout faux pas risque de mettre le feu aux poudres…

Kim-Jong-un,

À la mort de son père en décembre 2011, Kim Jong-un était apparu comme un successeur très jeune, jovial et plutôt moderne, n’hésitant pas à se montrer en compagnie de son élégante épouse dans un parc d’attractions, et même à un concert de musique pop. Pour les observateurs, c’était enfin l’espoir d’une évolution en douceur de Pyongyang. Après les dérives paranoïaques d’un régime dictatorial aux abois, la Corée du Nord s’apprêtait à suivre l’exemple chinois, à s’ouvrir aux investissements et à s’enivrer de biens de consommation. Au passage, elle allait renoncer à sa vieille obsession militariste, et surtout à l’arme atomique… Un des premiers actes du nouveau leader ne fut-il pas de suspendre les essais nucléaires et balistiques en échange d’une aide alimentaire américaine ?

Hélas, l’embellie aura été de courte durée. À peine un mois plus tard, les États-Unis sont contraints de stopper leur approvisionnement, Pyongyang ayant décidé de procéder au lancement d’une fusée au mépris de ses engagements.

Le jeune Kim s’est comporté en fils loyal, suivant l’exemple de son père mais obtenant des résultats qui auraient fait rêver ce dernier

« Depuis, le jeune Kim s’est comporté en fils loyal, suivant l’exemple de son père mais obtenant des résultats qui auraient fait rêver ce dernier », estime le chercheur Andreï Lankov. En un an, il a en effet décroché plus de « victoires » que son père pendant toute la durée de son règne. La mise en orbite d’un satellite en décembre dernier signale au monde entier que le pays est en passe de maîtriser la technologie des missiles de longue portée.

Cerise sur le gâteau, Pyongyang réussit en février dernier son troisième essai nucléaire, d’une magnitude double par rapport au précédent, en 2009. La Corée du Nord est donc en passe de devenir ce qu’elle a toujours rêvé d’être : une puissance nucléaire capable de dialoguer d’égal à égal avec la redoutable Amérique. Et d’arracher enfin les accords de paix qu’elle attend depuis l’armistice de la guerre de Corée en 1953.

Ces succès sont-ils montés à la tête de Kim Jong-un ? Le vote de sanctions – prévisible, pourtant – par les Nations unies le 8 mars déclenche à Pyongyang une avalanche de vitupérations encore plus hargneuses que d’habitude. Kim réagit en abrogeant le pacte de non-agression signé en 1991 avec le voisin du Sud, désigne une petite île frontalière comme cible d’une prochaine attaque, promet de noyer Séoul dans une « mer de flammes »… Les États-Unis ayant envoyé il y a quelques jours leurs redoutables bombardiers B-52 et des chasseurs furtifs survoler la péninsule dans le cadre de manœuvres communes avec la Corée du Sud, Kim ira même jusqu’à menacer le territoire américain d’une « attaque nucléaire préventive » !

Kim Jong-un est jeune et inexpérimenté. Saura-t-il jusqu’où ne pas aller trop loin ?

Pour les spécialistes, ces vociférations sont pure rhétorique et visent à faire monter la tension afin de contraindre Séoul et Washington à « acheter » la paix. Ils font remarquer que Pyongyang est loin de posséder les ogives et les missiles capables d’atteindre le continent américain. Mais, si les cités californiennes sont à l’abri, Séoul et ses plus de 20 millions d’habitants ne sont qu’à 40 kilomètres des canons et des Scud du Nord. Or le Sud – c’est nouveau – a promis de répondre du tac au tac à toute provocation. Selon des informations distillées à la presse, ses généraux envisagent même, en cas d’attaque sur leur territoire, de bombarder le mausolée des père et grand-père de Kim, objets d’un véritable culte, ou quelques-unes des 35 000 statues qui les représentent.

Alors, jusqu’où ira le bras de fer ?

« Kim Jong-un est jeune et inexpérimenté. Saura-t-il jusqu’où ne pas aller trop loin ? se demande un diplomate européen. Même les Chinois semblent inquiets… »

Paradoxalement, les grandes capitales ont toutes intérêt au maintien du statu quo : la Chine pour éviter la réunification de la péninsule au profit de Séoul, la Corée du Sud pour faire l’économie d’une absorption du frère ennemi, les États-Unis, enfin, pour justifier leur présence militaire dans la région. Mais, dans l’atmosphère survoltée qui prévaut aujourd’hui, un faux pas, un signal mal compris, une provocation de trop peuvent déclencher le conflit que tout le monde redoute.


Parution Le Nouvel Observateur N° 2526 – 4 avril 2013