Même s’il a tendance à baisser, le nombre des exécutions en Chine est de très loin le plus élevé au monde. La marque flagrante de l’inhumanité du système du pays.

Exécution de 11 prisonniers à Wenzhou, le 7 avril 2004

Exécution de 11 prisonniers à Wenzhou, le 7 avril 2004

Le 1er juillet 2008, un jeune homme pénètre dans un commissariat de Shanghai armé d’un couteau. Il s’appelle Yang Jia, il a 28 ans, et il est décidé à faire le maximum de dégâts. Six policiers vont trouver la mort dans le carnage. Ce meurtrier va pourtant devenir un « héros » inattendu, le symbole de la révolte contre un système inique pour la foule d’internautes qui se passionnent pour les débats citoyens. On apprendra que cet accès de rage résultait d’une longue série d’injustices. Accusé d’avoir volé un vélo (qu’il avait loué), Yang Jia avait été maltraité et humilié dans ce même poste de police. Ses demandes de réparation avaient toutes été rejetées. Lors du procès, les droits de la défense avaient été piétinés. Sa mère, seule à pouvoir expliquer les causes de ses actes ou témoigner de son état mental, avait providentiellement « disparu ». On a appris plus tard qu’elle avait été enfermée dans un hôpital psychiatrique.

L’abolition de la peine de mort n’était pas considérée alors comme le combat le plus brûlant à mener en Chine. L’exécution de Yang Jia, le 26 novembre 2008, marque un tournant dans les consciences. Désormais, on ose interroger la fonction de la peine capitale au service d’un « ordre » inique. On n’hésite plus à dénoncer les inégalités de son application. En 2009, le Web s’indigne contre le chef du Bureau du Travail de Shanghai, coupable d’avoir détourné l’équivalent de 2,3 milliards de dollars de fonds publics, et qui n’écopera que de dix-huit ans de prison. Au même moment, Du Yimin, une femme d’affaires malchanceuse, était exécutée pour avoir perdu 5 % des sommes gaspillées par le haut fonctionnaire. Aujourd’hui, la quasi-totalité des juristes chinois milite en faveur de l’abolition de la peine capitale.

S’il existe un domaine où se manifeste le caractère dysfonctionnel du système chinois, son iniquité, sa violence, voire son défaut d’humanité, c’est bien la question de la peine de mort. Les chiffres, pour commencer, atteignent des sommets tels qu’ils sont couverts par le secret d’État : plus de 10 000 exécutions par an au milieu des années 2000. Un nombre en baisse depuis 2007, date à laquelle Pékin a décidé que toute condamnation à mort devait obtenir l’aval de la Cour suprême. Treize délits non violents viennent d’être retirés de la liste des crimes capitaux.

Le nombre annuel d’exécutions est toutefois encore estimé à 5 000 aujourd’hui – soit quatre fois plus que le total combiné des exécutions dans le reste du monde…

Pourquoi de tels chiffres ? Pourquoi l’Inde présente-t-elle, au contraire, des chiffres très modérés ? Pour comprendre les raisons profondes de ce mal chinois, il faut se pencher sur des pratiques spécifiques – conçues pour impressionner au maximum les imaginations. Comme les exécutions collectives et publiques, un spectacle relativement « banal » jusqu’à il y a peu. Beaucoup de Chinois ont ainsi vu des condamnés exhibés dans un stade, promenés à travers la ville dans des camions découverts puis fusillés sur un terrain vague. L’injection létale, introduite depuis peu, ne se prête pas à ces spectacles de cirque. Mais la méthode la plus répandue reste la balle dans la nuque tirée à bout portant par un « policier militaire ». Tout le monde sait que la tête des suppliciés « explose ». Et personne n’ignore que la police militaire a pour mission non de combattre l’ennemi extérieur, mais de réprimer les « désordres » internes.

Il y a le message implicite encourageant l’obéissance au système. Il y a aussi le business – les deux pouvant parfaitement se combiner. Le scandale de la peine capitale est en effet lié, en Chine, à un autre scandale ignominieux, celui des prélèvements d’organes. En 2006, le vice-ministre de la Santé a reconnu publiquement que les organes provenaient principalement des condamnés à mort. En 2009, le « China Daily » précisait la proportion de cette provenance : 65 %. Les ONG soupçonnent que des peines capitales sont prononcées en fonction des besoins de cette industrie  florissante dont

les retombées « irriguent » toute une chaîne d’acteurs: primes versées aux policiers qui arrêtent un trafiquant de drogue (vrai ou supposé), crime passible de mort ; pots-de-vin servis aux juges; association entre certains hôpitaux et les prisons, entre certains chirurgiens et les postes de police…

Les autorités ont  ni par prendre conscience de l’horreur suscitée par des pratiques aussi révoltantes et jurent aujourd’hui qu’aucun prélèvement n’est fait sans le consentement du donneur. Et pour prouver sa bonne foi, Pékin envisage même d’introduire la peine de mort pour traffic d’organes !


Parution dans TV Obs – 17 mars 2011