Connaissance de soi, thérapie antistress, sagesse… Voici que se développe une nouvelle façon de faire le vide et de se concentrer sur l’instant. Hérité des pratiques orientales mais validé par la science, cet art de méditer séduit désormais intellectuels et cadres suractifs
Quand vous entendez « méditation », avez-vous tendance à penser « ashram », « Katmandu », « zazen », « temple tibétain », musique planante et fumée d’encens ? Pour la plupart d’entre nous, la méditation reste en effet marquée par la grande vague exotique des années 60 qui a vu son apparition sous nos latitudes. Peu importe l’étonnant succès rencontré depuis dans les monastères d’Europe, où on ne compte plus les bénédictins ou les carmélites qui ont adopté ces méthodes avec ferveur. Ni l’installation durable dans nos paysages de communautés de bouddhistes convertis, avec leurs temples, leurs monastères et leurs congrégations. La méditation continue encore d’être ressentie par le plus grand nombre comme « bizarre », « venue d’ailleurs ». Mais les choses risquent de changer rapidement. Cinquante ans après son irruption, la méditation s’est en effet imposée dans un milieu a priori peu propice aux spéculations mystiques : le monde hospitalier. Le mouvement a débuté il y a une vingtaine d’années en Amérique du Nord, sous l’impulsion de médecins et des scientifiques intéressés par ses effets thérapeutiques. L’une de ses versions baptisée mindfulness – « pleine conscience » – est aujourd’hui pratiquée dans 250 hôpitaux et cliniques. La France commence seulement de s’y mettre.
Je pratique depuis trois ans, et je compte bien continuer, car la méditation a tout changé pour moi
« C’est un besoin désespéré de ne pas me laisser écraser par une maladie incontrôlable qui m’a poussée vers la méditation, écrit Rose M. sur un forum consacré à la fibromyalgie, une affection extrêmement invalidante accompagnée de fatigue constante et de douleurs dans tout le corps. J’avais entendu parler de l’effet du mindfulness sur la douleur chronique, j’ai trouvé sur internet des exercices gratuits. Je pratique depuis trois ans, et je compte bien continuer, car la méditation a tout changé pour moi. » Rose M. raconte comment elle ajoutait jadis « la souffrance à la douleur » en luttant sans cesse contre elle-même, en étant « folle de rage » contre ce corps qui la trahissait. Elle vivait dans la plainte, la rancœur et l’amertume d’avoir perdu sa vie d’avant, sa santé, sa carrière. « La méditation m’a appris à écouter les craquements de mon organisme avec attention et douceur, à travailler avec eux plutôt que contre eux, et du coup je sais apprivoiser la douleur. Elle m’a appris aussi à vivre dans le présent, au point que je me demande si au fond je n’y ai pas gagné… ».
Aux États-Unis, plus de dix millions de personnes déclarent pratiquer régulièrement une forme de méditation, soit deux fois plus qu’il y a dix ans. La plupart d’entre elles ne choisissent pas un gourou pour les guider dans les arcanes. Elles sont initiées dans les écoles, les hôpitaux, les administrations, les grandes compagnies, et jusque dans les cabinets d’avocats et les prisons.
La recherche n’est pas en reste. Le NIH, Institut national de santé américain, a financé en 2008 plus de 50 études – contre trois en 2000 – ayant pour objet d’évaluer l’effet de la mindfulness sur le stress, les addictions, la concentration, la dépression et même les bouffées de chaleur.
La pleine conscience
Ce n’est pas un hasard si Jon Kabat-Zinn, le scientifique qui a mis au point la nouvelle méthode, étudiait le zen dans les années 70 auprès d’un maître coréen et que pour se faire de l’argent de poche, il donnait des cours de yoga. Convaincu de l’efficacité de ces pratiques, il cherche un moyen de les rendre assimilables dans une société qui regarde ces jeunes passionnés de spiritualité orientale comme « une armée de Wisigoths aux portes de la ville », se souvient-il avec humour. La solution : purger la pratique de toute référence religieuse ou rituelle. Avec des éléments apparentés empruntés au yoga, au zen et au vipassana (une pratique bouddhiste indo-birmane), il crée une méthode très précise, dotée d’un protocole rigoureux, d’une méthode de formation non moins exigeante, qu’il baptise d’un concept courant dans le bouddhisme : la pleine conscience. Le nom officiel est MBSR (mindufulness based stress reduction), « réduction du stress basé sur la pleine conscience ».
Avec son doctorat de biologie moléculaire obtenu auprès d’un prix Nobel du fameux MIT, il n’a pas trop de mal à convaincre l’hôpital universitaire du Massachusetts de créer une clinique du stress où des malades souffrant de douleurs chroniques seraient formés à la nouvelle méthode. Le succès est tel que peu à peu, les indications s’étendent des maux de tête aux douleurs liées aux maladies cardiaques, au sida, au cancer ; puis aux affections chroniques, aux maladies immunitaires ou infectieuses, à l’infertilité.
Avec ses collègues dermatologues, Kabat-Zinn réalise même une expérience frappante sur des malades atteints de psoriasis, soignés dans une cabine d’UV trois fois par semaine. Ceux qui bénéficient d’un simple enregistrement de méditation guidée, diffusé dans la cabine pendant les quelques minutes que dure l’exposition aux rayons UV, verront leurs lésions guérir quatre fois plus rapidement que les autres ! Pour le père de la mindfulness, le doute n’est plus permis : la pleine conscience agit effectivement sur l’organisme. À condition que nous soyons présents au présent, entièrement tournés vers ce qui se passe en nous au moment où ça se passe.
La méditation, ce n’est pas ce que vous croyez
Pour gagner en liberté
« La méditation, ce n’est pas ce que vous croyez, a l’habitude de dire Kabat-Zinn à ses auditeurs. Il ne s’agit pas de “faire le vide” dans sa tête, mais de faire attention au présent, moment après moment. Ce “presque rien” est la chose la plus simple et la plus difficile qui soit, insiste-t-il. Notre révolution digitale nous a catapultés dans un monde où nous sommes sollicités de façon démentielle, où il n’y a plus d’espace de respiration pour notre pauvre intériorité. Nous sommes constamment sur pilote automatique, tellement plus dans le faire que dans l’être, qu’on ne devrait plus nous appeler des “êtres humains”, mais des “faires humains” ! Il s’agit précisément de renouer avec notre être ».
Le potentiel de cette approche pour la pacification du mental et le maintien de l’équilibre émotionnel n’a pas longtemps échappé aux psys. Dès 1993, le psychiatre cognitiviste canadien Zindel Segal et deux de ses collègues anglais s’emparent de la mindfulness et mettent au point une version – intégrant des aspects de leur propre pratique psychothérapeutique – intitulée MBCT (mindfulness based cognitive therapy) « thérapie cognitive basée sur la pleine conscience ». Testée sur des patients avec des antécédents dépressifs et anxieux dans son Centre pour les Addictions et la Santé mentale à Toronto, la méthode fait la preuve de son efficacité en réduisant de moitié le risque de nouvelle rechute sur deux ans. Un résultat extraordinaire, quand on connaît la fragilité de ces patients et la rareté des interventions adaptées.
L’idée que nous pouvions éviter la rechute de nos patients dépressifs était une grande nouvelle, qui a permis à la psychiatrie française de s’intéresser
à la prévention
Depuis 2000, Zindel Segal vient chaque année en Suisse prodiguer des formations où se presse la fine fleur des psychiatres et psychologues cliniciens d’Europe. Parmi ses premiers auditeurs, le psychiatre Christophe André : « L’idée que nous pouvions éviter la rechute de nos patients dépressifs était une grande nouvelle, qui a permis à la psychiatrie française de s’intéresser à la prévention, chose à laquelle elle s’est mise avec beaucoup de retard ». Le psychiatre de Sainte-Anne est le premier en France à ouvrir dans son service un groupe de méditation, composé pour moitié de patients et pour moitié de personnels médicaux. Au fil des ans, des jeunes soignants viennent s’y former et partent monter des groupes dans différents coins de France. C’est donc d’abord à travers les psys que la mindfulness commence à se répandre en France, d’où elle est en train de se propager vers les centres antidouleur – un schéma inverse à celui qu’ont connu les États-Unis.
La méditation est un outil plus efficace
pour aider à gérer les émotions négatives,
la peur, la tristesse, la honte
C’est aux psys formés aux thérapies comportementales et cognitives, les TCC, que l’on doit cette ouverture sur la méditation. Les TCCistes cherchent en effet à « recadrer » les patients anxieux ou déprimés, en agissant soit sur leurs comportements, soit sur leurs « cognitions », c’est-à-dire sur les « idées automatiques » et généralement fausses et dévalorisantes qu’ils entretiennent en permanence à propos d’eux-mêmes et qui ont pour effet de les pousser à l’échec. Mais comment approcher les émotions inadéquates ou disproportionnées ? « La méditation est un outil plus efficace pour aider à gérer les émotions négatives, la peur, la tristesse, la honte, explique le Dr André. Elle doit passer par d’autres circuits cérébraux que les consignes verbales que nous pouvons leur donner. Ces malades, qui font d’habitude tout pour fuir les émotions pénibles, de peur qu’elles les entraînent dans la spirale de la panique ou de la déprime, apprennent concrètement à cohabiter avec eux le temps de la méditation, sans les fuir ni les corriger. Résultat : ils ont moins peur de leur peur, ils ruminent moins, ils collent moins à leur discours intérieur. Ils gagnent donc en liberté ».
Mais attention, explique le psychiatre Frédéric Rosenfeld dans son guide de la méditation (1), cet exercice n’est pas entièrement dénué de dangers. Il ne devrait pas être pratiqué par des personnes en phase de dépression, ou des personnes vulnérables prédisposées aux délires et aux hallucinations. Le mieux est de s’adresser à des professionnels ayant reçu une bonne formation (2).
Quant à ceux qui voudraient s’abreuver à la source originelle, ils peuvent se tourner vers les conseils du moine Matthieu Ricard (3), qui a appris la méditation bouddhiste auprès de vénérables lamas tibétains. Notre moine national est de ceux qui font le pont entre la tradition plurimillénaire de l’Orient bouddhique et les développements les plus récents des neurosciences. En prêtant son cerveau d’athlète à leurs IRM et autres techniques d’imagerie cérébrale, il a contribué à montrer que la pratique régulière de la méditation modifie concrètement la physiologie cérébrale. Depuis les expériences menées sur ces cobayes d’un genre particulier, la notion de « plasticité cérébrale » a pris le pas sur celle de « perte neuronale ». Non, notre cerveau ne s’appauvrit pas irrémédiablement avec l’âge. Il peut au contraire se muscler, s’étoffer et gagner des qualités que seul l’entraînement intensif permet d’acquérir, comme les états durables de sérénité, de compassion, et de bonheur.
(1) « Méditer c’est se soigner », Les Arènes, 2008.
(2) Voir l’annuaire de l’Association pour le Développement de la Mindfulness, www.association-mindfulness.org/
(3) « L’art de la méditation », NiL, 2008.
On s’y met ! Première initiation…
Il existe une multitude de pratiques méditatives – assis, couché, debout, en marche, etc. On peut commencer par la méditation assise focalisée sur la respiration – quelques minutes par jour pour débuter –, qui est proposée aux débutants dans de nombreuses traditions. Voici une synthèse tirée du Mindfulness Based Stress Reduction (méditation de la pleine conscience contre le stress) mise au point par le professeur Jon Kabat-Zinn (1).
Choisir un endroit calme où on ne sera pas dérangé. S’asseoir confortablement, le dos et la tête droits mais non rigides, les épaules relâchées, les mains posées naturellement sur les cuisses ou les genoux.
Il s’agit d’approcher la respiration avec une infinie douceur, comme si c’était un petit animal farouche qu’on voudrait apprivoiser. On s’ouvre à la sensation du souffle, aux perceptions de son passage dans les narines, ou bien dans le ventre qu’il fait gonfler à chaque inspiration et dégonfler à chaque expiration. On reste avec ces sensations, instant après instant.
Si l’on s’aperçoit que l’esprit est parti – et c’est dans sa nature de s’échapper, de vagabonder – on ramène doucement l’attention vers le souffle, vers les narines ou le ventre. Patiemment et avec douceur, on ramène l’esprit aussi souvent que nécessaire. Ne pas réagir, ne pas juger les pensées, les émotions, les impulsions ou perceptions qui peuvent nous traverser. Ne pas condamner, ne pas forcer.
Tout ce qui pénètre dans le champ de la conscience est bienvenu. On note sa présence, on respire en sa compagnie, et on revient à la sensation de notre souffle, instant après instant.
C’est un processus continuel où l’on voit et on laisse être, tandis que le souffle entre et sort. L’important n’est pas la respiration, mais l’attention. Porter son attention sur l’inspir, sur l’expir… et la maintenir. Porter l’attention… et la maintenir. C’est simple, mais ce n’est pas facile. L’esprit est si indiscipliné, si agité… On accepte cette agitation, on l’accueille comme elle vient, on la laisse être, tout en sachant qu’en profondeur, comme dans les océans les plus tempétueux, il y a une très grande tranquillité.
En portant son attention de cette manière, chaque jour, on fait un acte radical d’amour. On ne recherche pas simplement un moment de relaxation, de bien-être. On est dans l’acceptation inconditionnelle vis-à-vis de soi et de tout ce qui est. On s’établit dans la présence à soi, simple, juste, basique.
En acceptant tout ce qui vient, sans rien rejeter ni se laisser entraîner, on s’aperçoit qu’en temps normal on est menés et malmenés par un flux de pensées et un maelstrom d’émotions dont l’effet est de renforcer tout ce qui est « moi, ma vie, mes problèmes, mes besoins, mes attentes, mes craintes… » On s’autorise à sentir qu’on est peut-être plus que ce « moi, mon, mien »… Peut-être qu’il y a quelque chose de plus vaste en moi, quelque chose de plus humain, de plus profond, qui est toujours là, toujours donné, toujours présent dans le silence de mon attention…
Avant de se lever, on peut s’engager à entretenir cette présence tout au long de la journée. On sait qu’on peut établir le contact avec le souffle à tout moment. Quel que soit le lieu où l’époque où l’on vit, on peut insuffler de la pleine conscience, du calme et de la clarté dans chacun des instants de notre vie.
(1) « Méditer. 108 leçons de pleine conscience », Les Arènes.
Parution Le Nouvel Observateur 22 avril 2010 — N° 2372