Il était le Martin Luther King turc, lui qui défendait la cause arménienne dans son pays. Hrant Dink a finalement été assassiné
C’était il y a deux ans. Hrant Dink avait été abattu de trois balles et gisait face contre terre devant l’immeuble d’« Agos », le journal bilingue arméno-turc qu’il dirigeait depuis 10 ans à Istanbul. Pourquoi, dans un pays qui les compte par milliers, cet énième assassinat politique fut-il si durement ressenti ? Pourquoi une telle émotion, pourquoi ces dizaines de milliers de Monsieur-tout-le-monde brandissant en silence des pancartes jamais vues : « Nous sommes tous Hrant Dink, nous sommes tous Arméniens » ? En Turquie, dans la langue courante, traiter quelqu’un d’« Arménien » revient à peu près à l’appeler « salopard ». Hrant Dink avait, en quelques années d’exposition médiatique, réussi à toucher les cœurs et retourner les esprits. « Il était devenu le Martin Luther King de nos deux peuples », résume Taner Akçam, le courageux historien turc spécialiste du génocide arménien.
Les Arméniens dans leur relation avec les Turcs, souffrent d’un traumatisme au sens clinique. Les Turcs, eux, cultivent la paranoïa vis-à-vis de leurs concitoyens arméniens. Pour sortir de l’impasse, il faut une thérapie, une empathie mutuelle, un dialogue
L’émouvant film d’Osman Okkan et Simone Sitte donne à voir le mélange rare d’ouverture, de conviction, d’exigence et de chaleur qui caractérisait Dink. « Les Arméniens, explique-t-il dans un extrait, dans leur relation avec les Turcs, souffrent d’un traumatisme au sens clinique. Les Turcs, eux, cultivent la paranoïa vis-à-vis de leurs concitoyens arméniens. Pour sortir de l’impasse, il faut une thérapie, une empathie mutuelle, un dialogue ». Le dialogue, c’est sans doute ce que craignent par-dessus tout les militaro-fascistes qui sont les vrais maîtres de l’État turc. Certes, sous la pression populaire, le tueur, un adolescent de 17 ans, et le groupuscule qui l’a téléguidé ont été arrêtés. Mais il faut écouter l’avocate de la famille Dink expliquer comment des preuves capitales concernant la responsabilité de la police d’Istanbul ont disparu. Comment une enquête, dont les ramifications s’étendent jusqu’aux plus hauts échelons de l’appareil étatique, est artificiellement cantonnée à quelques bandes extrémistes. Un autre mérite de ce documentaire est de montrer le camp de Tuzla, près d’Istanbul, un petit paradis aujourd’hui à l’abandon, qui fut construit par des orphelins arméniens parmi lesquels le petit Hrant et sa future femme Rakel. Comme toutes les communautés chrétiennes de Turquie victimes d’expropriations abusives, les enfants de Tuzla ont été dépossédés par l’État. Paria un jour, paria toujours ? C’est contre ce racisme et celui qui frappe en Turquie toutes les identités méprisées, femmes et homosexuels y compris, que luttait Dink. Au prix de sa vie.
Parution TéléObs 21 mars 2009 — N° 2315
À propos du documentaire « L’assassinat de Hrant Dink » d’Oskan Okkan et Simone Sitte, 58 mn diffusé sur Arte.