Quand le conflit ouïgour s’exporte au cœur des villes chinoises

 Fleurs et bougies en hommage aux victimes du 1er mars

Fleurs et bougies en hommage aux victimes du 1er mars

Le massacre de la gare de Kunming, samedi 1er mars 34 morts et 130 blessés – représente une dérive préoccupante pour Pékin. Les tueurs, des hommes et aussi quelques femmes, masqués, habillés de noir et armés d’énormes coutelas, venaient probablement de la province lointaine et troublée du Xinjiang. Cette vaste région aux confins de l’Asie centrale, au sous-sol riche en hydrocarbures, est le berceau des Ouïgours musulmans et turcophones. Comme dans les autres régions « autonomes » de minorités non han, les Ouïgours font l’objet de mesures de plus en plus assimilationnistes. Comme au Tibet, le mécontentement éclate désormais au grand jour. Mais, à la différence des Tibétains qui ont choisi depuis 2009 de s’immoler par dizaines, les Ouïgours, eux, recourent à des méthodes plus classiques — et plus violentes.

En juillet 2009, une grave émeute mit la capitale Urumqi  à feu et à sang. La réponse de Pékin, répression d’une part et avalanche de capitaux de l’autre, a entraîné 11 % de croissance du PIB local en 2013. Mais le développement profitant surtout aux colons han – 40 % de la population de la province – n’a fait qu’aviver la rage ouïgoure. Selon l’agence d’informations Chine nouvelle, le Xinjiang a connu pas moins de 190 attaques en 2011. L’événement le plus lourd de symboles fut l’attentat suicide de la place Tian’anmen en octobre 2013 : un Ouïgour, accompagné de sa femme et de sa mère, avait jeté son véhicule en flammes dans la foule massée sous le portrait de Mao, tuant deux touristes et en blessant des dizaines.

Mais, pour les spécialistes du terrorisme, Kunming est le vrai tournant. La page des attentats très ciblés visant les forces de l’ordre à l’intérieur du Xinjiang paraît être tournée. Les assaillants semblent décidés à exporter leur conflit au cœur des villes han. À Kunming, on a vu pour la première fois une action très organisée, longuement planifiée et redoutablement efficace, bien que reposant sur des moyens « primitifs » comme l’arme blanche. Tant que Pékin ne changera pas de politique dans ses marches rebelles, une escalade de violence sera à craindre.


Parution Le Nouvel Observateur 6 mars 2014 – N° 2574