Le phénomène des immolations par le feu de moines tibétains — une douzaine en 2011 — vient de connaître une nouvelle escalade,  entraînant des troubles potentiellement très graves.

La religieuse tibétaine, Palden Choetso, 35 ans, s’immole à Tawu le 3 novembre 2011

Voir la saisissante vidéo clandestinement sortie de Chine :

Depuis le début de l’année, quatre nouveaux suicides ont eu lieu en moins d’une semaine. Le mouvement s’étend désormais à la hiérarchie. Le 12 janvier, après avoir prié sur la colline voisine, le lama Sopa se plante devant le commissariat de Darlag, bourgade tibétaine de la province du Qinghai, il boit du kérosène, s’en asperge, puis s’enflamme comme une torche. Il meurt en criant « Liberté pour le Tibet » et « Longue vie au dalaï-lama ! »

Contrairement aux précédents, pour la plupart de très jeunes moines, l’immolé de Darlag était l’abbé du monastère local, fondateur d’une maison de retraite et d’un orphelinat, un érudit célèbre et surtout un rinpoche, c’est-à-dire une réincarnation de haut rang — un « bouddha vivant ». Il n’ignorait rien des règles bouddhistes qui proscrivent toute violence faite à un être vivant, soi-même inclus. Selon les croyances populaires, le suicide même altruiste entraîne une « régression karmique » qui fait « perdre » à son auteur le bénéfice de 500 réincarnations.

Les Tibétains sont tellement bouleversés par ces sacrifices que chaque immolation déclenche des troubles : rassemblements imposants, funérailles solennelles, etc. Dans le cas du lama Sopa, la police ayant d’abord refusé de restituer son cadavre, la foule en colère fracasse les locaux du commissariat. Finalement, le corps est exhibé dans la ville attirant des milliers de nomades des plateaux environnants…

La tension monte encore d’un cran deux jours plus tard, quand dans la province voisine du Sichuan, un jeune moine du monastère de Kirti, épicentre du mouvement, s’immole à son tour. Les policiers tentent d’éteindre le feu tout en bourrant le supplicié de coups. Indignée, la foule se fait menaçante. Les policiers ouvrent le feu, blessent plusieurs personnes et tuent une femme âgée.

Selon des sources tibétaines, cette agitation vient de franchir une nouvelle étape. Hier lundi 23 janvier, à Draggo (en chinois : Luhuo), dans la partie la plus occidentale du Sichuan à la frontière de la région autonome du Tibet, des tracts sont distribués prédisant de nouvelles immolations si le gouvernement continue d’ignorer les revendications des Tibétains. La police réagit en multipliant les arrestations. Comme à Kirti le 14 janvier, la foule proteste. La police réplique en tirant dans le tas. Bilan : plusieurs morts (jusqu’à six, selon Radio Free Asia) et des dizaines de blessés par balles. La situation serait toujours très tendue à Draggo, où des milliers de paysans et de nomades indignés seraient en train d’affluer.

Au même moment, à plusieurs centaines de kilomètres de là, un phénomène identique se produit à Aba, siège du célèbre monastère de Kirti, haut-lieu des immolations. Des pèlerins ayant été matraqués par la police, une foule de plus en plus dense de Tibétains des plateaux est en train de s’assembler autour de Kirti et l’on ne voit pas comment ce cercle vicieux pourra être rompu.

Cinq ans après les émeutes de Lhassa en 2008, la répression montre ses limites, et le Tibet semble plus que jamais au bord du soulèvement.