Selon l’OMS, 4 Français sur 10 ont régulièrement recours aux médecines dites « non conventionnelles ». Mais faut-il faire confiance à ces pratiques dont les bases scientifiques sont souvent incertaines ?

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Vous avez dit « médecines douces » ? Ce ne sont pas des médecines, et elles ne sont pas douces, assène l’Académie nationale de Médecine. Dans son rapport du 5 mars consacré à la place de ces pratiques au sein du système hospitalier, l’Académie leur reconnaît tout au plus le rôle de « thérapies complémentaires », voire de « soins de support ». Elles peuvent certes « rendre certains services », mais au prix de sérieux dangers, dont le moindre n’est pas le risque de « dérives sectaires ». Surtout, leur présence dans les établissements publics, où elles se sont « insidieusement installées », n’est acceptable que « dans la mesure où l’hôpital n’est pas considéré comme garant de leur efficacité ». 

C’est avec une évidente réticence, et presque à reculons, que l’Académie prend acte de la place « probablement irréversible » que ces approches occupent désormais dans le paysage médical. La France, fille aînée de Descartes, ou du moins la France des élites, a bien du mal à accepter ce qui semble tourner le dos à la déesse Raison. Les Français, eux, ont cessé depuis longtemps d’accorder une foi aveugle à un système de santé que beaucoup jugent trop technicien, trop invasif, trop déshumanisant. Ils veulent être soignés autrement et font un triomphe aux livres qui défendent les approches nouvelles, comme ceux de David Servan-Schreiber ou de Thierry Janssen.

La défiance s’est encore accrue avec le scandale du Mediator et la polémique sur les médicaments inutiles ou dangereux. D’où un engouement étonnant, constatent les mandarins stupéfaits, pour des pratiques qui à leurs yeux confinent à la « patamédecine ».

Mais, s’il est encore possible de balayer d’un revers de main ces égarements, comment rester sourd aux voix qui s’élèvent désormais au sein même du corps médical ? Comment se poser en gardien inébranlable de la doxa, quand celle-ci se fissure de toutes parts ? La grande vague hétérodoxe a en effet submergé des pans entiers de la profession. De l’aveu même des pontes de l’Académie, « presque toutes les facultés » et « la quasi-totalité des centres de cancérologie, la plupart des CHU et de nombreux centres hospitaliers et cliniques privées » ont inscrit les médecines douces dans leur offre.

C’est aussi ce que constate la Fédération hospitalière de France sur son site Hopital.fr. Ici, on les appelle les MAC (médecines alternatives et complémentaires) et on décrit leur présence de moins en moins discrète : dans les centres de cancérologie où la pression des patients est la plus forte – 60 % des malades y ont recours, souvent d’ailleurs en cachette de leur oncologue –, mais aussi dans les centres antidouleur ou de soins palliatifs, les maternités, en pédiatrie, en rhumatologie, en gastro-entérologie, en anesthésie-réanimation…

Parmi les approches les plus répandues, on retrouve sans surprise les disciplines autorisées de longue date par l’Ordre des Médecins, comme l’acupuncture et l’homéopathie, ainsi que l’ostéopathie qui a conquis droit de cité en 2002 grâce à la loi Kouchner. On dénombre aussi une quinzaine d’autres méthodes moins connues et non reconnues : hypnose, sophrologie, haptonomie, plantes, massage, réflexologie, qi gong, shiatsu… Leur but : soulager les douleurs, les nausées ; diminuer le stress, l’hypertension, l’angoisse, la dépression ; lutter contre les effets secondaires des traitements lourds ; aider au sevrage ; renforcer le système immunitaire, accélérer le rétablissement. Si l’on connaît mal le mode d’action de la plupart de ces méthodes, leur efficacité, en revanche, ne fait plus guère de doute.

Nous sommes peut-être en train d’assister à ce que les historiens des idées appellent un changement de paradigme. C’est le glissement qui se produit quand le système global des conceptions et des croyances propres à une époque craque sous le poids des questions sans réponse et laisse la place à un nouveau cadre de pensée. Sur le plan de la santé, notre société n’adhère plus à la conception fragmentée du corps, au compartimentage étanche entre spécialités, à la toute-puissance de techniques qui ne laissent au malade qu’un rôle passif. Nous valorisons désormais l’écologie, le dialogue, les visions holistiques.

Mais il n’y a pas que l’évolution des idées. Il y a celle des pathologies les plus fréquentes, qui doit beaucoup, paradoxalement, aux succès de la médecine elle-même. Grâce à la découverte des antibiotiques, nous ne mourons plus d’infections fulgurantes. Vivant plus vieux, nous souffrons désormais de maladies « chroniques » : affections cardio-vasculaires, cancers, diabète, dépression, arthrite, etc.

Or la médecine, qui fait merveille dans les situations de crise, « montre ses faiblesses dans le cadre des états chroniques : ses catégories ne répondent pas assez aux causes », estime le professeur Antoine Lazarus, qui fut le directeur du tout premier département de médecine complémentaire, créé en 1984 à l’université de Bobigny. La chirurgie, les médicaments s’attaquent en effet aux symptômes, mais ils ne corrigent pas les dysfonctions profondes, souvent multifactorielles, liées au stress, à l’environnement et aux modes de vie. C’est ici qu’entrent en scène les thérapies nouvelles, qui visent à rééquilibrer le « terrain » et y parviennent assez souvent, si l’on en croit les taux élevés de satisfaction.

Effet placebo, rétorquent les critiques. « Le placebo qui soigne, qui est reproductible et mesurable, ça s’appelle un traitement », répond Herbert Benson, célèbre cardiologue américain auteur du best-seller « Réagir par la détente », publié en 1975, qui révolutionna la médecine en montrant que la relaxation suffisait à contrer les effets physiques du stress en faisant baisser la tension artérielle, en ralentissant le rythme cardiaque et en calmant le système nerveux sympathique.

Benson est le père de la vaste mouvance du bodymind (« corps-esprit »), un ensemble d’approches issues des grandes traditions asiatiques – yoga, méditation de pleine conscience, qi gong, etc. – ou de disciplines non traditionnelles – cohérence cardiaque, visualisation, hypnose, etc. Les deux familles sont aujourd’hui présentes dans tous les hôpitaux d’Amérique du Nord. Benson est en outre à l’origine d’un grand nombre de recherches, menées selon les normes scientifiques les plus exigeantes, qui évaluent l’efficacité de ces méthodes et commencent à lever le voile sur leurs mécanismes. Ainsi, en 2009, le professeur et son équipe de Harvard ont publié une étude révolutionnaire montrant pour la première fois l’effet bénéfique des techniques de relaxation sur nos gènes.

La France a longtemps joui en ce domaine d’un prestige international, grâce aux travaux des médecins militaires qui, ayant découvert en Indochine l’efficacité de l’acupuncture, l’ont acclimatée en plein XIXe siècle rationaliste. C’est un médecin français qui a fondé l’auriculothérapie, une technique si efficace que l’armée américaine s’en sert couramment pour bloquer les douleurs des soldats blessés. Ce sont encore des médecins militaires français qui ont fondé l’aromathérapie moderne, qui fait aujourd’hui un tabac dans le monde.

Pourtant, malgré l’appel à la reconnaissance voté en 1997 par le Parlement européen, malgré les efforts de l’OMS pour favoriser leur intégration dans les systèmes de santé, les médecines douces n’ont pas entièrement conquis droit de cité en France. La recherche, en particulier, est très réduite chez nous, comparée aux considérables résultats de nos voisins. Et nous restons les champions d’Europe de la consommation de psychotropes, même si des thérapies reconnues comme le mindfulness (« pleine conscience »), l’hypnose et l’EMDR (désensibilisation et reprogrammation par mouvement des yeux) commencent à être accessibles.

Français, encore un effort pour être un peu plus complémentaires !

Stress et antistress

Les recherches accumulées depuis trente ans ne laissent aucun doute : notre gestion du stress, ainsi que nos modes de vie (sommeil, alimentation…) ont un impact sur notre santé. « Ils influencent notre physiologie, notre biologie et nos gènes », affirme Nathalie Rapoport-Hubschman (1), chef du service de psychologie médicale du CHU Rabin en Israël. La preuve vient d’être apportée que le stress influe sur  « la longueur de ces petits capuchons protecteurs des chromosomes appelés télomères et qui conditionnent notre longévité ».

La science a d’abord exploré l’action des « hormones de stress » comme le cortisol et l’adrénaline. Leur sécrétion prolongée entraîne une usure de l’organisme qui fait le lit des pathologies. Puis les chercheurs se sont penchés sur l’effet des états mentaux sur le niveau général d’inflammation de l’organisme.

On pense aujourd’hui que les facteurs psychologiques sont impliqués dans de nombreuses affections : maladies cardio-vasculaires, diabète, asthme, certains cancers, maladies du côlon, troubles de la fertilité… Récemment, les recherches ont confirmé l’effet bénéfique de l’optimisme, de l’espoir et de l’humour, sur les AVC, les maladies coronariennes, le diabète, l’insuffisance rénale et le sida.

Face à la montée des maladies chroniques, il est donc urgent d’apprendre à éviter les émotions toxiques, cultiver l’empathie et les liens sociaux. C’est exactement ce que nous apprennent les approches corps-esprit comme le yoga, la méditation mindfulness ou le qi gong. Respirez !

(1) « Apprivoiser l’esprit, guérir le corps », Odile Jacob.

Aromathérapie : essentielles essences

C’est une science immémoriale et universelle. En Australie, en Asie, en Égypte, les peuples antiques savent « depuis toujours » extraire les essences aromatiques de plantes médicinales que nous continuons à utiliser (seules 10 % des 800 000 espèces végétales s’y prêtent). L’alambic a été créé dans le monde arabe précisément pour améliorer la distillation des remèdes et parfums.

Mais, comme pour l’acupuncture, ce sont des chercheurs et des médecins militaires français qui ont redécouvert l’intérêt prodigieux de cette approche. Le terme « aromathérapie » est forgé par le chimiste René-Maurice Gattefossé dans les années 1920. Brûlé par une explosion dans son labo, il évite la gangrène en s’enduisant d’huile essentielle de lavande. Il publie en 1935 le tout premier ouvrage consacré à la discipline.

Après guerre, le Dr Jean Valnet, chirurgien militaire, donne aux huiles essentielles (HE) leurs lettres de noblesse en démontrant leur effet sur la cicatrisation des blessés du Tonkin. Puis, après sa démobilisation, en suscitant dans le monde médical et scientifique un intérêt durable. Les équipes françaises, toujours en pointe sur le front de la recherche (11 000 études publiées dans le monde), ont accumulé les données.

Aujourd’hui, les HE enthousiasment le grand public. Les Français y consacrent ainsi chaque année 85 millions d’euros, en automédication. Les médecins aromathérapeutes étant peu nombreux, ils s’adressent aux pharmaciens ou se fient aux guides. Le livre emblématique de l’aroma-mania, « Ma Bible des huiles essentielles », paru en 2007 aux Éditions Leduc, en est à sa douzième réimpression et s’est vendu à plus de 150 000 exemplaires.

L’auteure, Danièle Festy (1), pharmacienne, explique la puissance remarquable des HE par la concentration d’actifs sécrétés par les plantes pour se protéger contre les agressions extérieures : « Chaque huile contient tout un ensemble de principes actifs, jusqu’à 130. Du coup, elles ont une action à la fois multiforme et très rapide. » Leur efficacité sur les infections bactériennes est supérieure à celle des antibiotiques et représente une alternative précieuse à l’heure où se multiplient les résistances aux molécules trop prescrites.

L’allopathie, explique la pharmacienne, c’est « la médecine du pompier » : le feu est dans la maison, il faut l’éteindre. Mais le mal n’est pas traité en profondeur. « L’aromathérapie, elle, agit sur plusieurs fronts : la même huile peut à la fois influer sur l’infection, la circulation, l’inflammation, les douleurs, le système nerveux neurovégétatif. Elle soigne donc le système global corps-esprit. » Mais attention : ces fluides hyperpuissants, à utiliser avec discernement, sont contre-indiqués aux femmes enceintes et aux enfants. Il est préférable de demander systématiquement conseil à son pharmacien.

Avec une quinzaine d’huiles essentielles, on peut soigner la plupart des petits et certains gros bobos. Et s’il fallait n’en retenir qu’une ? « La lavande, répond Danièle Festy, à cause de son caractère polyvalent. » Elle est en effet analgésique, antiseptique, cicatrisante, mais aussi antidépressive, antispasmodique, calmante, à la fois tonicardiaque et hypotensive. C’est ce qu’on appelle une panacée.

(1) Dernier livre paru : « Découvrez
 les huiles essentielles », Éd. Leduc, 2013.

Le péril sectaire

C’est avec raison que les instances dirigeantes insistent sur le danger sectaire dans le domaine de la santé, particulièrement propice à l’établissement de liens d’« emprise » entre des gourous en quête de proies faciles et des personnes fragilisées par la maladie.

La plus inquiétante de ces sectes, la Médecine nouvelle germanique et sa variante baptisée Biologie totale prétendent relier toutes nos maladies à des chocs psychologiques mal digérés. Leur créateur, l’ancien médecin interdit de pratique Ryke Geerd Hamer, a été condamné en France pour escroquerie et exercice illégal de la médecine. Installé aujourd’hui en Norvège, il continue de recruter via internet.

Hamer et ses imitateurs font certes courir des risques sérieux à leurs adeptes. Mais toutes les méthodes jugées « bizarres » ou « farfelues » ne sont pas pour autant l’œuvre de gourous ou de charlatans. Le récent rapport du Sénat « Dérives thérapeutiques et dérives sectaires » va un peu vite en besogne en amalgamant les secondes à des « pratiques exotiques », comme le massage tui na, le shiatsu ou le qi gong – qui relèvent de la médecine chinoise. Or cette dernière est officiellement inscrite dans le plan stratégique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et fait l’objet d’un protocole de « rapprochement » entre la France et la Chine !

Sont également traités avec suspicion l’hypnose, la relaxation, les compléments alimentaires, etc. – méthodes pourtant largement pratiquées dans les hôpitaux et CHU français, pour la plus grande satisfaction des patients et des personnels de santé. Même le millepertuis est montré du doigt, alors que son efficacité contre la dépression est universellement reconnue…

En mettant dans le même sac des sectes et des disciplines sérieuses, dont certaines ont fait leurs preuves depuis des siècles, les sénateurs contribuent à brouiller les lignes et à aggraver la confusion, facilitant paradoxalement la tâche des gourous.

Plus nuancée, la note publiée en octobre dernier par le Centre d’Analyse stratégique, dépendant du Premier ministre, évite l’écueil du manichéisme. Puisque les médecines douces sont installées durablement dans notre paysage sanitaire, tâchons de les réguler et de les intégrer à notre système de santé, préconisent ces experts. Ils recommandent, après un examen approfondi des différentes approches, de rembourser celles dont l’efficacité serait prouvée.

Ils proposent également la création d’un label de praticien, comme chez nos voisins allemands, suisses et britanniques.

Parution Le Nouvel Observateur 15 août 2013 — N° 2545