Michel Onfray sait-il vraiment où il met les pieds lorsqu’il évoque les « statistiques ethniques », un sujet sur lequel les démographes français s’étripent depuis des décennies ?

Michel Onfray

J’aime beaucoup Onfray. J’aime sa « Contre-histoire de la Philosophie » et j’essaie de ne rater aucune des retransmissions de ses conférences sur France-Culture, malgré le décalage horaire et malgré les embûches du réseau internet chinois qui s’ingénie à ralentir, interrompre, empêcher le flux dès que l’on veut accéder à un site hors de Chine…

J’aime aussi beaucoup le courage avec lequel Michel Onfray a déboulonné le mythe freudien dans son livre « Le Crépuscule d’une idole », paru en 2010. Du courage, il en fallait une sacrée dose pour s’attaquer ainsi au formidable front des freudiens de France. Je le sais d’autant mieux que j’ai eu une expérience analogue à l’époque où je couvrais les sujets « psy » pour l’Obs. Suite à la publication du « Livre noir de la psychanalyse » aux éditions des Arènes, j’avais publié le premier dossier critique de Freud et du freudisme. L’Obs avait titré en une : « Faut-il en finir avec la psychanalyse ? » (1er septembre 2005) La réaction a été cataclysmique. Une tempête furieuse s’est abattue sur nous, avec anathèmes publics, courriers de lecteurs par milliers, accusations d’antisémitisme, etc. Une sorte de répétition générale du tsunami d’hostilité que Michel Onfray a essuyé cinq ans plus tard avec son livre.

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Ce que Michel Onfray ne sait pas (ou bien préfère-t-il l’oublier ?), c’est que Laurent Joffrin, qu’il déteste et méprise avec tant de violence aujourd’hui, a fait preuve du même courage, exactement. Alors directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, Laurent m’a soutenue à fond. Sans ce soutien, jamais je n’aurais pu mettre en une un sujet aussi « dérangeant ». L’Obs avait été jusque là l’hebdo des idées freudiennes et dérivées (lacaniennes, doltoistes, etc.) qu’il avait largement contribué à propager. C’était tout sauf évident pour un directeur de la rédaction d’accepter que les lecteurs soient ainsi pris à rebrousse-poil. Or il m’a attentivement écoutée, il a écouté les éditeurs et auteurs du Livre Noir, puis, ayant constaté le sérieux de ces recherches, il m’a fait confiance pour orchestrer le dossier de une. Après la parution, quand les freudiens se sont déchaînés contre le journal, il a tenu bon en répondant publiquement à leurs attaques furibardes. Et en privé, il est intervenu avec fermeté pour stopper une campagne de dénigrement contre moi (j’ai été l’objet, comme Onfray, de l’accusation préférée des freudiens : l’antisémitisme). Je posterai (un de ces jours…) les différents dossiers et articles que j’ai publiés dans l’Obs sur ces sujets.

Mais revenons à Onfray et au débat qui fait rage aujourd’hui. Après avoir réussi (non sans mal) à voir sur TVpluzz la retransmission de son passage mouvementé à « On n’est pas couchés », j’ai décidé de mettre en ligne un article intitulé « La guerre des démographes ». Pourquoi exhumer ce papier paru dans l’Obs en… 1998 ? Parce qu’il touche au cœur de la question qui semble travailler Onfray et que l’agressivité (et la maladresse) des deux chroniqueurs a empêché d’émerger au cours de cette émission.

Cette question, c’est celle des statistiques ethniques et plus généralement de l’immigration. Onfray a cité en passant la démographe Michèle Tribalat comme source de ses idées et convictions. Qui est Michèle Tribalat ? Quelles sont ses thèses sur les statistiques ethniques ? Qu’en pensent les autres démographes ?

Il se trouve que la bagarre ne date pas d’aujourd’hui. En 1998, quand j’ai fait mon enquête dans le panier de crabes des démographes français, j’ai découvert que l’on s’étripait déjà depuis belle lurette autour des thèmes que Michel Onfray met aujourd’hui sur la place publique. J’ai rencontré Michèle Tribalat, j’ai rencontré son opposant le plus virulent Hervé Le Bras, ainsi que de nombreux autres démographes et pour finir un historien britannique de la démographie qui m’a aidée en mettre en perspective le « mal » de la démographie française, à savoir son acoquinement historique avec l’idéologie. Je suis d’accord avec Michel Onfray que les chercheurs devraient pouvoir travailler librement sur tous les sujets. Mais je retiens de mon enquête que les travaux de Michèle Tribalat, outre d’être de qualité scientifique incertaine, n’étaient pas indemnes d’arrières-pensées. Il n’y a pas que les gardiens du système qui pèchent pas idéologisme.

Je me souviens surtout avoir été stupéfaite en découvrant que la plupart des démographes avaient peur de s’exprimer sur le sujet. Certains n’ont accepté de me rencontrer qu’à la condition expresse que je ne dévoile pas leur nom ! On se serait cru en Chine à la même époque — ou maintenant…